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d’après ces sources de richesses, on assiste à un reclassement de la valeur des peuples. Au siècle du charbon, il y eut des nations privilégiées et des nations sacrifiées ; de nouveaux riches et de nouveaux pauvres, comme il y en aura au siècle du pétrole.

Les frontières sont devenues d’une précision géométrique : un millimètre et on est chez l’étranger. Jadis deux pays voisins déteignaient l’un sur l’autre, langues, coutumes, sentiments. Il y avait une zône intermédiaire, une sorte de no-man’s land, où des gens d’un pays et de l’autre ne se sentaient pas étrangers vis-à-vis l’un de l’autre. Aujourd’hui la frontière est truquée, bétonnée, chausse-trappée, barbelée, rendue inviolable. « Ils sont, dit Pascal, de l’autre côté de l’eau et pour cette raison géographique, ils sont l’ennemi. » Est-ce naturel ? S’il n’y avait, par ailleurs, dans des bureaux, dans des palais lointains, des gens qui menacent l’humanité, les gens de la frontière s’avanceraient de part et d’autre les uns vers les autres. D’ailleurs que de familles frontalières. Par exemple, les deux Brissach, Strasbourg et Kehl, sur le Leman les deux Saint Gingolf, en Silésie les deux parties de Teschen.

Le territoire forme largement l’âme des populations. Pour Keyserling, une culture, une foi ne se jugent ou plutôt ne s’apprécient qu’en fonction des influences telluriques, des impondérables de l’habitat, du sol, du ciel. C’est cela, c’est ce dynamisme élémentaire qui agglomère les individus, qui crée les nations ou plutôt les esprits, les caractères nationaux. Ainsi l’accoutumance, la compréhension, l’amour de certains lieux est une des bases du « patriotisme » local, régional, national. Ainsi peut s’aimer et un continent et la terre et le monde : question d’échelle, question d’accessibilité et de compréhension.

Le territoire de chaque pays a donc été appropriée à son habitat. L’œuvre d’appropriation est plus ou moins avancée ; elle va en se perfectionnant sans cesse. La sociologie, la géographie humaine le constatent et l’expliquent.