Page:Otlet - Problèmes internationaux et la guerre.djvu/251

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150. L’entretien exige des sommes énormes. Les Anglais dépensent annuellement 1,200,000 francs à draguer l’Estuaire de la Mersey (Liverpool) et les Allemands de 2 à 3 millions pour maintenir la passe du Weser (Bremerhaven). De telles dépenses ne peuvent se reproduire sur de trop nombreux points de la côte. Mais les grands ports à eux seuls ne suffisent pas. Ils doivent avoir derrière eux le plus grand arrière-pays possible, devenir le point ou afflue un grand courant commercial, être en même temps un nœud de voies ferrées. Pour prospérer il est nécessaire qu’ils soient le point d’arrivée d’un réseau de voies navigables, l’embouchure réelle, effective d’une série de rivières et de canaux, drainant littéralement tout un hinterland et le mettant en valeur. C’est le cas de la Tamise de Londres, de l’Hudson de New-York, de la Mersey de Livcrpool, de la Garonne de Bordeaux, de la Loire de Nantes, de l’Hoogly de Calcutta, de la Meuse et de l’Escaut de Rotterdam et d’Anvers communiquant avec le Rhin. L’importance de ces cités ne suffit pas à leur port ; elles ne pourraient poursuivre une existence solitaire. Le Havre est relié à Paris par rail et par la Seine ; Dunkerque est un nœud de canaux ; Marseille, débouché naturel de Lyon, la seule route d’Orient pour Paris et le centre de la France a demandé la mise en état du Rhône et le canal de Marseille au Rhône.

Une solidarité du rail, du fleuve et de la mer s’est établie par la création de tarifs combinés qui font de chaque station du chemin de fer à l’intérieur une agence maritime recruteuse de frets et permettant au port maritime de projeter au loin des « racines » profondes. Ainsi depuis 1890 fonctionne à Hambourg les tarifs de la Deutsche Levante Linie et de la Ost Afrika Linie. Un seul chiffre, porté sur une lettre de voiture spéciale, indique le prix total de transport, et par terre et par mer, de presque toutes les stations des chemins de fer allemands vers les ports du Levant et de l’Afrique orientale. Il n’y a ainsi plus d’intermédiaires entre le chemin de fer et l’armement. Et le tarif est à ce point réduit que l’influence d’une grande distance par chemin de fer est quasi annulée. Ainsi le prix Kiel-Hambourg était de 3,28 marks par 100 kilos, et Essen-Hambourg 3,79 pour une distance dépassant la première de plus de 300 kilomètres, soit moins de 1.7 pf. de supplément par tonne kilométrique. Conséquences : Stuttgart, qui géographiquement se trouve dans la sphère d’influence de Trieste passe dans la sphère de Hambourg ; la Deutsche Levante Linie qui n’avait que quatre vapeurs en 1890 en avait trente quatorze ans après.

On conçoit combien est artificielle la politique qui sans se préoccuper des conditions naturelles et économiques de certains ports ne tient compte, pour leur incorporation politique à tel ou tel État, que de la nationalité des habitants de la ville, de l’argument stratégique ou de l’argument ambition territoriale tout court (exemple : Trieste,