Page:Otlet - Problèmes internationaux et la guerre.djvu/315

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4. Dans son Cours de littérature (1813) Frédéric Hégel cherchait déjà à faire ressortir l’influence de la littérature sur l’évolution politique des peuples. Depuis les littératures comparées ont fait l’objet d’études incessantes ; les faits d’interaction littéraires ont été relevés et l’on a commencé à formuler quelques lois générales d’influence. Les relations de la littérature et de la politique, elles, ont été très vivement mises en lumière. L’ouvrage de Mme de Staël : De la littérature, considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (1800), a le premier attiré l’attention sur cette question, il y a plus d’un siècle, et beaucoup de travaux l’ont suivi[1].

Dans chaque pays des études ont été faites sur les écrivains qui ont exercé le plus d’influence sur l’âme des générations ; on a défini et expliqué leurs œuvres en tant qu’éducatrice de l’esprit et du cœur[2]. On a précisé ainsi les facteurs internationaux de la littérature. Georges Brandès. par exemple, montre dans ses Principaux courants de la littérature au XIXme siècle l’influence capitale de Jean-Jacques Rousseau sur les lettres universelles. Le premier réveil national de l’Allemagne, le romantisme de Herder qui entraîna dans son courant Gœthe et Schiller, fut engendré par l’influence combinée de Jean-Jacques et de Diderot. Et Rousseau de son côté a été directement influencé par l’Angleterre, par Richardson avec sa Clarisse Harlowe.

5. Quelle direction prendra la littérature, en particulier la poésie, le théâtre, le roman après la grande commotion ? Déjà des critiques attentifs se posent cette question. Paul Flatt pense que la littérature dramatique et la littérature féminine seront vraisemblablement emportées toutes deux par un courant idéaliste. Il se substituera aux tendances purement sensualistes qui les avaient caractérisées. « On se hâte trop, dans certains milieux, dit Camille Mauclair de pronostiquer un « retour au classicisme ». C’était déjà là avant la guerre une panacée mal définie, le souhait d’une sorte de protectionnisme intellectuel. Évidemment, à mesure que la « Kultur » est mieux connue des Français, elle leur inspire plus d’horreur, et l’exclusion rigoureuse de tout germanisme déterminera une permanente mobilisation du « front littéraire » français. Mais qui peut affirmer que cette tendance nationaliste si légitime ne sera pas compensée par une influence mutuelle des lettres anglaises, russes, italiennes, belges et françaises, dans le grand rapprochement créé par la communion des alliés ? Quel sens pourra garder, dans une France expurgée de tout élément teuton, le grief contre « les métèques » déjà contestable naguère ? Les lois des mouvements littéraires sont trop internes pour qu’à tout ceci une réponse

  1. Reynaud, L’influence française en Allemagne.
  2. Voir, pour ce qui concerne la littérature française du XIXme siècle, les Essais de psychologie contemporaine de Paul Bourget, 1883-1886.