Page:Otlet - Problèmes internationaux et la guerre.djvu/329

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en 1870. — Mais un secret instinct, fait de l’expérience de tout ce que la pratique de la vie incorpore aujourd’hui de notions hautement intellectuelles, nous tranquillise sur l’avenir de l’intellectualité. La vie du monde ne peut plus être sans elle et elle est essentiellement universelle. Rien ne peut arrêter l’idée. Si le livre parfois a dû demeurer en deçà des frontières, le voyageur, lui, passa, portant dans sa tête un monde nouveau quand il s’appela Bouddha, Socrate ou Platon, Jésus ou saint Paul ; quand ce sont les Grecs chassés de Constantinople et venant en Italie ; quand ce sont des novateurs religieux comme Jean Huss, Luther, Calvin, Zwingler. Rien n’a pu arrêter la diffusion des idées au XVIIIme et au XIX{e|me}} siècle. Rien ne l’arrêtera au XX{e|me}}.

5. Deux évolutions parallèles se poursuivent, développant, perfectionnant, renouvelant d’une part les idées, d’autre part les choses. L’une domine le monde de la pensée, l’autre celui de l’action. Et ces deux mondes, en leurs évolutions, agissent l’un sur l’autre. De nouveaux principes sont nécessités par des conditions et des besoins nouveaux ; à leur tour ceux-ci suscitent de nouvelles conceptions. — L’idée de la puissance intellectuelle doit être le dogme fondamental de la sociologie pratique. Le progrès ne se réalise que par l’intervention voulue de l’homme. C’est la coordination primitive et la succession déterminée des causes qui ont amené l’humanité et chacune des sociétés particulières à son état présent. Cela est certain et conforme aux lois du déterminisme ; mais ce qui n’est pas moins certain, c’est que, parmi toutes les causes, la cause capitale, absolument prépondérante est l’activité intelligente des hommes[1]. Il appartient à la Science de fournir la conception de la vie et de ses valeurs, la conception de l’homme, de sa place dans l’univers, de ses possibilités ; il lui appartient aussi de fournir l’explication de l’univers pour permettre aux humains de dominer la nature et de s’assurer la puissance sur elle. C’est le devoir de l’Éducation de former des hommes comprenant ces conceptions, et voulant les disciplines appropriées à l’action collective. Sur la Science et sur l’Éducation, aux fonctions ainsi définies, doit reposer le Régime démocratique, gouvernement conforme aux données scientifiques et réalisées par les intéressés eux-mêmes.

6. Entre toutes les manifestations de la vie intellectuelle, les unes spontanées, les autres réfléchies, entre les langues, les religions, les sciences, les lettres, les arts, les moyens de diffusion de la pensée et de formation des masses, l’éducation, le livre, la presse, il existe des liens de dépendance. À ces forces psychologiques supérieures, il appartient de gouverner de plus en plus les sociétés. Elles doivent faire apparaître aux hommes la véritable échelle des valeurs des biens, les amener à hiérarchiser leurs besoins, leur présenter des idéals élevés car la vie n’a pas épuisé ses possibilités avec le boire, le manger, le

  1. A. Bauer, Essai sur les révolutions, page 295.