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Page:Otlet - Problèmes internationaux et la guerre.djvu/391

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Telles sont les conséquences qui dérivent logiquement et historiquement de la conception de la souveraineté absolue de l’État, conséquences que l’Allemagne, non pas exclusivement, mais plus complètement que toute autre nation a réalisées jusqu’ici. La guerre actuelle a eu cet immense avantage de les mettre à nu une bonne fois. Spontanément les autres peuples ont réagi et se sont dressés contre l’Allemagne, dans la crainte et l’horreur que leur inspirait une existence gouvernée désormais par de tels principes.

L’examen que nous venons de faire nous conduit à deux conclusions :

a) Un État qui adopte la conception de la souveraineté absolue et en fait appliquer les conséquences pratiques qui viennent d’être indiquées va à sa ruine. « Car il ne peut pas remplir le destin qu’il s’est assigné, sans empêcher l’Humanité de vivre librement, et la vie ne se laisse pas éternellement enchaîner. On peut bien par une action mécanique la contenir, la paralyser pour un temps, mais elle finit toujours par reprendre son cours, rejetant sur les rives les obstacles qui s’opposaient à son libre mouvement (Durkheim) ».

b) Le nouvel ordre à instaurer dans le monde doit reposer sur le principe de l’interdépendance des nations et conséquemment de la limitation de souveraineté des États et leur subordination à un ordre supranational. Il faut proclamer que l’État a des devoirs vis-à-vis de l’Humanité et s’élever contre la théorie allemande de Treitschke qui dit : « L’État est ce qu’il y a de plus élevé dans la série des collectivités humaines. Dans toute l’histoire universelle on ne trouve rien qui soit au-dessus de l’État[1] ». Et ce mot prêté à Guillaume II : « Pour moi, l’humanité finit aux Vosges[2] ». De telles affirmations révoltent aujourd’hui la conscience des peuples. Que l’Humanité soit simplement rayée des valeurs morales dont l’État doit tenir compte, que tous les efforts faits depuis vingt siècles par les sociétés chrétiennes soient comptés comme inexistants, c’est ce qui constitue un scandale historique aussi bien que moral. C’est le retour à la morale païenne. Ce n’est pas assez dire, car les penseurs de la Grèce avaient depuis longtemps dépassé cette conception ; c’est un retour à la vieille morale romaine, à la morale tribale, d’après laquelle l’Humanité ne s’étendait pas au delà de la tribu ou de la cité (Durkheim).

La souveraineté de l’État doit donc être relative, car elle doit dépendre : a) des traités, libres conventions qu’il a signées et qui ont limité son indépendance ; b) des idées morales, qu’il a pour fonction de faire respecter et qu’il doit par conséquent respecter lui-même ; c) de l’opinion de ses sujets et des peuples étrangers avec laquelle il est obligé de compter ; d) des intérêts supérieurs de l’Humanité, représentés par une organisation supernationale. Traités, idées morales, opinions, inté-

  1. Politik, I, page 100.
  2. Rapporté par Durkheim, Deutschland über Alles, page 25.