Page:Otlet - Problèmes internationaux et la guerre.djvu/62

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sultant des événements militaires ; jamais plus de principes de toute catégorie, politiques, économiques, intellectuels, moraux, sociaux, ne furent en présence derrière les lignes ennemies. C’est pourquoi vraiment la guerre de 1914 est doublée d’une Révolution.

La guerre a-t-elle détruit la vieille Europe ? Sommes-nous à un de ces moments décisifs de l’histoire dont la détermination entraîne après elle une longue série d’événements généraux, comme l’a été, par exemple, dans le passé, la lutte des Grecs centre les Perses ; la lutte des Romains contre les Barbares ; la lutte des Chrétiens contre les Mahométans. À cette question posée par certains, d’autres répondent : « Oui, nous vivons un moment dont l’importance dépasse celle de tous les siècles réunis. L’histoire de l’humanité sera peut-être divisée un jour eu deux périodes, dont l’une marquera l’époque d’avant, l’autre celle qui suivra la grande croisade des civilisés (Finot). »

Et la question se présente : Cette guerre produira-t-elle un recul pour la civilisation, changeant la direction des forces, conscientes et inconscientes, qui tendaient à l’internationalisation et à la pacification du monde ? Ou bien la lutte pourra-t-elle être canalisée jusqu’à n’être qu’une simple crise de croissance de l’Humanité, celle-ci, sur des bases plus stables et plus élargies, continuant sa marche vers ses destinées supérieures ? La guerre en ce cas, par la commotion qu’elle aurait donnée au monde, apporterait en un jour, mais au prix de maux et d’horreurs sans nombre, le progrès qu’il eut fallu attendre encore des années.

En ce moment tous les problèmes sont posés ; ils agitent la conscience, ils la troublent, la dépriment ou l’exaltent. Problèmes de l’individu, problèmes de la famille, de la société, de l’humanité. Qu’est-ce que la vie ; la vie si malheureuse vaut-elle la peine d’être vécue ; l’effort qui aboutit à une telle débâcle a-t-il un fondement suffisant pour vaincre le pessimisme ; existe-t-il une vie morale, qu’est cette morale ; qu’est le Dieu dont l’action aurait pu se manifester clairement, qui, invoqué des deux côtés des lignes, monopolisé par chaque combattant, n’a pas cru bon de faire tourner cet immense événement en miracle éclatant de sa Providence ; qu’est la famille dont les uns doivent se faire tuer tandis que les autres ont la vie sauve et la succession des biens des premiers ; qu’est cet état moderne, monstrueux Moloch qui demande des victimes et encore plus de victimes, qui travaille non comme une association et pour ses membres, mais pour lui-même, devenu une entité mystique et redoutable ; qu’est-ce qu’une économie qui aboutit à la destruction, des richesses, un droit au déchirement des traités, une politique à l’anarchie mondiale ; que sont nos sciences qui n’ont pu nous révéler encore les moyens de faire franchir aux hommes la distance qui les sépare des bêtes ? Problèmes, problèmes ! comme aussi ceux inspirés de la réaction contre tant d’horreurs, et