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LE LIVRE ET LE DOCUMENT

(en ce sens que nous sommes capables seulement d’énoncer sous le nom de principe, une proposition qui contient un grand nombre de faits), la science des particuliers devient une pure définition de mots. On ne peut concevoir le rôle de l’explication physique que sur des ensembles. — Suivant que vous commencez l’exposition par tel ou tel bout, le système des explications se transforme complètement. Ce qui était fait d’expérience devient définition de mot ; inversement ce qui était incontestable comme définition de mot devient à démontrer comme fait d’expérience. Nos philosophes sont peu familiers avec ces notions, pour nous élémentaires ; elles ne sont ni dans Aristote ni dans Lachelier. Qu’ils apprennent que, suivant le cas, les mêmes propositions intervertissent leur ordre de préséance ; par suite, que leur certitude (apparente) change de nature. Ils voudront bien se rappeler que l’explication en physique est la comparaison de fait avec les échelons d’un sorite développé d’une manière indépendante. »[1]

4. L’exposé comparable à une architecture d’idées. — La division d’un discours — qui va ainsi de la simple phrase à l’alinéa, au paragraphe, à la section, au chapitre — est d’importance primordiale. Il s’agit de faire comprendre au lecteur l’architecture de l’édifice intellectuel qui lui est proposé : il s’agit aussi de lui permettre de s’intéresser à telle partie et non à telle autre. Il doit pouvoir être distrait sur tel détail mais reprendre intérêt à telle autre partie, sans que le fil soit perdu.

La caractéristique du livre d’être une « architecture d’idées », de données intellectuelles, conduit à prendre en considération l’énorme révolution accomplie de nos jours par l’architecture elle-même. Il est impossible de se désintéresser désormais de l’évolution des concepts architecturaux. La guerre redonnant une faveur nouvelle à l’esprit technique et aux solutions catégoriques, l’architecture se tourna vers les solutions de la science dédaignées jusqu’alors au profit des recherches dites artistiques et qui n’étaient souvent que décoratives, partant parasitaires. Des formes neuves, insoupçonnées sont alors apparues, fruit de la tendance générale vers la civilisation rationnelle, où s’efforce notre génération. L’architecture nouvelle utilise aussi les matériaux nouveaux (pierre, brique, bois, fer, béton, acier, paille comprimée, béton de cendres, verre). Elle vise à l’insonorisation, à l’aération du gros œuvre, à l’utilisation de l’espace. La régularisation de l’architecture et sa tendance à l’urbanisme total aident à mieux comprendre le livre et ses propres desiderata fonctionnels et intégraux.[2]

Tout ce qui dans l’exposé écrit n’est pas ordonné selon la logique produit une distorsion de l’esprit, d’autant plus troublante, pénible, inefficiente, que l’esprit a davantage pris conscience de l’ordre logique.

Les qualités exigées dans les ouvrages scientifiques sont : a) la justesse dans les pensées : elle est le fruit d’une étude sérieuse ; b) la méthode dans le développement : elle consiste surtout à ne pas mêler les objets distincts de l’enseignement dans les sujets un peu compliqués, à établir et à respecter les divisions naturelles ; c) la clarté dans l’expression : elle veut que l’auteur se mette en garde contre les entraînements de l’imagination ; d) le sentiment des proportions, si important dans la composition d’un ouvrage.

5. Analyse de l’exposé. — La forme de l’exposé consiste avant tout dans une disposition des éléments : a) toute phrase peut être ramenée à un type (sujet, adjectif, verbe, adverbe, complément) ; b) tout raisonnement (suite de phrases) a un syllogisme ; c) tout exposé (suite de raisonnements) a un type littéraire ou scientifique ; d) tout livre (suite de tels types) a un type d’architecture livresque.

On a la graduation suivante : la syllabe (phonème), le mot, la phrase simple, complexe (plusieurs proportions), l’alinéa (plusieurs phrases).

À la base de l’ordre des mots dans la phrase, il y a ce qu’on nomme la construction grammaticale. Deux facteurs la déterminent : l’ordre des idées et l’harmonie des sons. Les Hébreux dans leur langue pauvre ont suivi l’ordre des idées, les Grecs et les Latins ont souvent fait sacrifier à l’harmonie des sons la clarté d’un style simple et direct. Le moderne latin et les anglo-saxons font des constructions directes, les germaniques rejettent le verbe à la fin.

6. Formes intellectuelles fondamentales. — On peut dégager les formes intellectuelles suivantes, que les mathématiques ont singulièrement précisées, mais qui sont susceptibles de généralisation à tous les domaines des sciences.

Une théorie forme un enchaînement continu. — Un axiome est une vérité évidente par elle-même. — Une proposition ou théorème est une vérité qui a besoin d’une démonstration pour devenir évidente. — On donne le nom de principe à une ou plusieurs propositions qui se rapportent à une même théorie. — Une hypothèse est une supposition. — Une règle est l’indication de la marche à suivre pour arriver à un résultat désiré. — Un système (ex. en arithmétique, du grec systema, assemblage) est un ensemble de conventions sur un même sujet. Ex. : système métrique, système de numérotation. — Un problème est toute question à résoudre. La résolution d’un problème comprend la solution, (indication

  1. H. Bouasse. Introduction du tome III du Cours de Physique.
    Sur les conditions et les exigences de la science, voir n° 152.1.
  2. Voir les œuvres d’Henry van de Velde, de Le Corbusier, d’Alberto Sartori (Éléments de l’architecture fonctionnelle. Tormo Hoepli. 678 reproductions).