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BIBLIOLOGIE

La science spéculative s’arrête à la connaissance de son objet ; la science pratique fait servir la connaissance de son objet à une action ou à une œuvre ultérieure. L’art est un ensemble de règles pratiques, directives de l’action. La tendance moderne est de donner à tout ensemble de connaissances les trois caractères spéculatif, pratique, normatif. La Bibliologie tendra donc à être à la fois science spéculative, pratique et art. Les connaissances relatives à la Langue ont déjà ces mêmes caractères. De même la Logique qui est l’étude réfléchie de l’ordre à mettre dans les pensées dans le but, non seulement de connaître leur coordination, mais pour la direction ultérieure de la pensée.

La Bibliologie comprend deux sciences distinctes : la Bibliologie générale, globale et synthétique, qui contient l’observation du livre en son ensemble, avec les comparaisons et les indications qui en découlent, et les sciences bibliologiques partielles et analytiques contenant l’observation successive et séparée de chacun des aspects divers du livre : bibliologie économique, technologique, sociologique, esthétique, etc.[1].

3. Le phénomène du livre relève de la Logique et de la Psychologie, de la Sociologie et de la Technologie. C’est l’Intelligence qui crée le livre et qui s’en assimile le contenu. C’est la Technique qui le confectionne. C’est sur la Société qu’il réagit puisqu’il sert à mettre en relation au moins deux individualités et à les modifier.

La Bibliologie doit donc comprendre quatre grandes branches qui la relient à l’ensemble des sciences : a) La Bibliologie logique, ou les rapports du Livre avec l’exposé de la science ; b) La Bibliologie psychologique, ou les rapports du Livre avec l’auteur ; c) La Bibliologie technologique ou les rapports du livre avec les moyens matériels de le produire et de le multiplier ; d) La Bibliologie sociologique ou les rapports du Livre avec la Société qui le fait naître dans son ambiance et l’y accueille.

122 Terminologie. Nomenclature.

1. Comme toutes les sciences, la Bibliologie doit avoir et possède effectivement une nomenclature, c’est-à-dire une collection de termes techniques. Malheureusement, comme pour l’Économie politique et la Sociologie en général, la plupart des termes de la Bibliologie sont empruntés au langage usuel. Il manque des termes spécialisés ou des définitions fixant le sens conventionnel des termes usuels. Ce n’est pas définir un mot que d’expliquer sa valeur philosophique ou métaphysique en lui laissant toutes les significations vagues du langage habituel. Définir un mot au point de vue d’une science c’est délimiter exactement et avec précision le sens au point de vue de la science envisagée.

2. La définition des mots doit reposer sur la définition des choses, des faits et des notions elles-mêmes qu’ils doivent servir à exprimer. Une définition doit être un exposé précis des qualités nécessaires et suffisantes pour créer une classe afin d’indiquer les choses qui appartiennent et n’appartiennent pas à cette classe (Stanley Jevons, Traité de Logique).

3. Afin d’éviter des doubles emplois, il est préférable d’exposer la Bibliologie dans toutes ses parties et d’en présenter les termes et les définitions au moment où sont analysées et exposées les choses, les faits et les notions. Les définitions conduisent aux lois. Celles-ci sont l’expression de rapports entre les choses. Il n’y aura d’expression claire que si les choses mises en rapport ont été elles-mêmes clairement bien définies. Réciproquement, toute définition implique déjà certaines lois, rapports constants, ne fût ce que les lois des éléments constitutifs des choses définies.

4. En attendant que l’accord soit fait sur l’unité de la terminologie, nous employerons indifféremment les termes formés des quatre radicaux suivants, deux grecs, deux latins, en leur donnant par convention une signification équivalente : 1o biblion, 2o grapho (grammata gramme), 3o liber, 4o documentum.

5. Ce demeure un problème de disposer d’un vocabulaire de termes généraux et d’adjectifs suffisamment étendus, réguliers et adéquats pour exprimer ici les idées générales, les ensembles et les propriétés communes. On y tend. Le grec a donné le mot biblion, le latin le mot liber. On a fait, de l’un Bibliographie, Bibliologie, Bibliophilie, Bibliothèque ; de l’autre Livre, Livresque, Librairie.

« Schriftum » disent les Allemands et, d’autre part, partant du radical « Buch », ils forment « Buchwesen » et « Bucherei ». Les Allemands aussi se servent du radical « Biblion », mais ils ont introduit à côté des mots « Bibliothek », « Bibliographie » des expressions nouvelles « Inhaltverzeichnis, Zeitschriftenschau » (Bibliographie du contenu des périodiques), « Referate » (Compte rendu analytique et critique), « Literaturübersichten in Kartenform » (fichier), « Literatur-Auskunftdienst, Beratungstelle », etc.

6. L’historique des termes est intéressant :

a) Le mot « Bibliographie » est né dans les temps grecs post classiques. Il signifiait alors l’écriture ou la copie, c’est-à-dire la production des livres. Au XVIIIe siècle encore, on entendait par Bibliographie l’étude des anciens livres manuscrits. La technique et

  1. D’après Zivny, la Bibliologie qui traite du livre dans le sens le plus général est divisée en théorique et pratique. Ces divisions comprennent : 1o la Bibliologie physique qui traite : a) la matière, écriture ou typographie, reliure et formes du livre comme unité (technologie des arts graphiques. Bibliographie graphique et descriptive) ; b) le livre comme un agrégat (catalogue bibliographique). 2o La Bibliothéconomie, production et distribution du livre.