Page:Otlet - Traité de documentation, 1934.djvu/185

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
180
241
LE LIVRE ET LE DOCUMENT

des cieux. Le traducteur a confondu « Kamelos » (chameau) avec « Kamilos » (câble).[1]

6. Méthodes de la traduction.

La traduction est un travail plus complet que la version, celle-ci peut à la rigueur consister uniquement dans la substitution d’un mot à un autre ayant le même sens dans une langue différente, tandis que la traduction exige tous les changements nécessités par la différence qui peut exister entre le génie des deux langues. Dans les écoles, on appelle couramment version les exercices par lesquels dans l’étude des langues, on traduit la langue maternelle des textes écrits en d’autres langues. Le thème, c’est l’inverse, c’est l’équivalence en une autre langue d’un texte de langue maternelle. Certaines traductions sont serviles, mot à mot ; d’autres constituent des interprétations d’allure libre et dégagée.

Des écoles depuis longtemps se partagent quant au caractère à donner à la traduction.[2] Pour les uns, il faut être littéral (photographier l’original). Pour les autres, il faut « faire œuvre de résurrection dans une nouvelle patrie d’une littérature endormie au tombeau : c’est la vie nouvelle d’un verbe passé dans un verbe présent ».

C’est par exemple, Homère, Moïse, Virgile, Dante, Shakespeare pensant et parlant français. Mais on constate que traduire ainsi c’est le plus souvent rendre les auteurs méconnaissables. Il y a imitation, non plus traduction.

La traduction allemande de Shakespeare par Schlegel et Tieck est criblée de fautes et, malgré cela, grâce à cette traduction incorrecte, Shakespeare est mieux compris en Allemagne que dans les pays anglo-saxons, il y est devenu quasi plus une propriété allemande qu’anglo-saxonne.

Un Code de recommandations à suivre dans les traductions pourrait être fort utile.[3]

L’effort à faire pour le rapprochement des races et leur intercompréhension d’abord, demeure immense. On ne parle pas la même langue des idées, il faut établir des traductions non point mot à mot, mais sens à sens. Des livres ont paru dans ce sens. Par ex. aux Indes : « The Mysterious Kundalin. The Physical Basis of the Kundalini (Hatha) Yoga » in terms of Western Analogy and Physiology by Dr Vacant G. Rele. — Bombay D. B. Taraporevala, Sons & C°.

Parfois l’auteur apporte des éliminations des passages trop spéciaux au pays d’origine ou il tient compte des critiques faites à son livre en donnant à sa pensée une expression plus correcte. (Ex. Socialisme théorique de Bernstein, traduit par A. Cohen.)

On peut faire acte de grande initiative en traduisant des ouvrages d’avant-garde d’une science dans une autre ; en ne se bornant pas à loin à la transcription servile d’une langue dans une autre mais en y ajoutant préface, commentaire et notes. Ex. : La traduction de l’Origine des espèces faites en français de 1862, par Clémence Roger.

7. Domaine de la traduction.

Dans l’ensemble quelle est la proportion de la pensée écrite, traduite dans les diverses langues. Des coefficients pour en juger seraient intéressants à établir suivant la formule

Le nombre de traductions va en augmentant, mais augmente aussi le nombre des œuvres originales. En réalité, on constate : 1° Que tout n’est pas traduit. On ne traduit pas toutes les œuvres, ni tous les auteurs. Pour être traduit un ouvrage doit avoir une grande notoriété. 2° On traduit avec retard. 3° On traduit incomplètement (En général seulement l’ouvrage principal de l’auteur.) 4° On traduit plus ou moins exactement. 5° Les traductions en restent généralement à une ou deux éditions rapidement rendues surannées par la parution successive de trois ou quatre éditions refondues de l’original.

8. Applications de la traduction.

Des progrès se constatent dans l’extension du « polyglottisme dans les publications », notamment dans les périodiques. Ainsi : 1° Nombre de périodiques publient des sommaires et des résumés en plusieurs langues. Par ex. Le Bulletin de la Fédération dentaire internationale donne article par article la traduction en français, en anglais et en allemand. 2° Dans les congrès internationaux les résolutions sont traduites en plusieurs langues et parfois les comptes rendus. 3° La Société pour les Relations Culturelles entre l’U. R. S. S. et l’étranger, sous la direction du Prof. R. N. Petrof, a fait paraître une revue illustrée en trois langues : français, anglais et allemand. Son radio-journal est transmis en anglais, allemand, français, espagnol et hollandais. Il est audible de toute l’Europe et même de l’Amérique.

9. Organisation de la traduction.

L’œuvre de traduction peut-elle être abandonnée à elle-même et a l’initiative individuelle ou convient-il de l’encourager, de la diriger, de l’aider ? La seconde hypothèse paraît la vraie et déjà bien que timidement on s’y essaie.

1° Le Congrès des P. E. N. Clubs de 1928 a préconisé une espèce de clearing house des Traductions et des Traducteurs (bibliographie des traductions et liste des traducteurs, etc.).

  1. Les anciennes traductions latines d’ouvrages arabes de médecine contiennent beaucoup de fautes. Dans le projet de publier un Corpus medicorum arabicorum, on a indiqué qu’il faut tenir compte des traductions qui ont répandu en Occident la médecine arabe et signaler les différences entre les traductions et les textes originaux.
  2. Un bon traducteur, disait déjà saint Thomas (prologue de son opuscule contre les erreurs des Grecs), doit tout en gardant le sens des vérités qu’il traduit, adapter son style au genre de la langue dans laquelle il s’exprime.
  3. Voir à ce sujet : Some notes on translations for students taking the Library Association language test by Thomas D. Pearce. The Library Assistant, may 1933, p. 94.