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LE LIVRE ET LE DOCUMENT

tire une pièce d’un roman, on fait un roman d’une pièce, et aussi un scénario de cinéma. Ex. : Sapho de Daudet.

c) Dans les livres classiques élémentaires, on trouve le volume du maître en contre-partie à celui de l’élève. C’est un réarrangement de la même matière.

f) Il y a rapport étroit entre traduction et adaptation.

Les idées ont besoin de traduction et d’adaptation pour pénétrer d’un peuple chez un autre peuple, « Pour naître et durer, les formules du Marxisme me semblaient bizarrement lointaines, dit Dmitrievsky (dans les conclusions du Kremlin). On aurait dit qu’elles étaient écrites en une langue étrangère, absolument incompréhensible au peuple. Plus loin, je découvris que seul Lénine sut traduire le marxisme en langue russe. »

241.86 Le Neuf et le Plagiat. Emprunt. Copie. Citation.

1. Notion.

Le Plagiat consiste à s’inspirer directement d’autres livres sans les citer ; à publier une identité de thèmes ; des idées empruntées en quantité à autrui, à produire des décalcages de textes.

Le plagiat à tous les degrés s’approprie un extrait, une phrase, un mot trouvés dans un auteur estimé, pour les insérer dans son travail, borner sa tâche à les adapter à sa pensée ; ou faire de larges emprunts ou même s’approprier tout un ouvrage.

En 1868, La Bruyère écrivait : « Tout est dit et l’on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes et qui pensent ».

2 Historique.

Le Plagiat a été pratiqué depuis les temps les plus anciens. Les Romains empruntèrent aux Grecs (par ex. : Phèdre écrit ses fables d’après Ésope ; Cicéron emprunte aux philosophes). Virgile qui avait cependant écrit le Sic Vos non Vobis fut convaincu d’avoir emprunté des vers entiers à Ennius. Shakespeare a emprunté à des auteurs obscurs, disant qu’il aimait à tirer une fille de la mauvaise société pour la faire entrer dans la bonne.

Au XVIIIe siècle, il était courant d’emprunter aux Anciens. « Prendre des anciens et faire son propre de ce qu’ils ont écrit, c’est comme pirater au delà de la ligne ; mais voler ceux de son siècle en s’appropriant leurs pensées et leurs productions, c’est tirer la laine au cours des rues, c’est ôter les manteaux sur le Pont-Neuf. » La Fontaine a emprunté maintes de ses fables à Ésope via Phèdre. Voltaire a plagié, Alexandre Dumas a plagié et justifié le Plagiat en général de Schiller, à Walter Scott, à Chateaubriand.

« Ce sont les hommes et non pas l’homme qui incitent ; chacun arrive à son tour, s’empare des choses connues de ses pères, les met en œuvre par des combinaisons nouvelles, puis meurt, après avoir apporté quelques parcelles à la somme de connaissances humaines qu’il lègue à ses fils, une étoile à la voie lactée. »

Toute l’épopée et la tragédie antique reprises par les modernes avaient une même matière. Molière ne se faisait nul scrupule de dérober ou plutôt de reprendre son bien où il le trouvait. On lit dans Hello de de Vigny tout un chapitre copié de Chamfort. Jean Lorrain avait inséré dans un article des phrases de Rimbaud. Il y a eu le cas de M. Benoit et de L’Atlantide, tributaire de She de l’Anglais Haggard, de Musset a dit : « Il faut être ignorant comme un maître d’école pour se flatter de dire une seule parole que quelqu’un ici-bas n’ait dite avant vous ; c’est imiter quelqu’un que de planter des choux ! »

3. La question du plagiat.

La question du plagiat a été formulée ainsi : dans quelle mesure un auteur, même si ses sources nous échappent, est-il redevable à son temps, à son éducation intime, à ses modèles littéraires, et plus généralement à ses aînés dans la carrière ? Est-ce qu’il est en droit de prétendre à une originalité effective dans le fond et dans la forme ?[1]

La notion de la propriété littéraire est toute moderne. Elle laissait indifférente les époques où la personnalité de l’écrivain s’effaçait derrière son œuvre. Le plus souvent il ne songeait même pas à signer celle-ci, car ou bien il avait de bonnes raisons de ne pas le faire (son rang, ses fonctions, la prudence l’en détournant), ou bien il était conscient de l’humeur de ceux qui allaient le lire ; pour eux il importait peu de savoir qui était le créateur : la création absorbait toute l’attention et monopolisait l’intérêt.

Dans les manuscrits des XIIe et XIIIe siècles, il est exceptionnel qu’une chanson de gestes soit signée ; à combien d’auteurs différents n’a-t-on pas attribué les plus jolies productions de l’ancienne lyrique. Même le plus grand écrivain du moyen âge français, Chrétien de Troye, n’a pas échappé à ces variations déconcertantes. Tantôt on lui retranche un poème qu’il a certainement composé, tantôt on lui endosse la fâcheuse paternité d’écrits qui lui font un moindre honneur que le sien. La plus belle épopée du moyen âge français, le « Roland »  » est anonyme. (Maurice Wilmotte).

4. Espèces et modalités.

Il y a lieu de distinguer :

a) L’imitation : c’est le Pastiche. Une série d’À la manière de, formule illustrée par Charles Muller et Paul Reboux (genre continué par La Page arrachée).

b) Les rencontres ou hasard, plus fréquents qu’on ne croit et qui ont donné lieu au proverbe « Les grands esprits se rencontrent ».

  1. M. Wilmotte. — Qu’est-ce qu’un plagiat ?