Page:Otlet - Traité de documentation, 1934.djvu/246

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
243
239
SUBSTITUTS DU LIVRE

spectacles que n’inspire aucune pensée littéraire, tels que ceux des grands Music-Halls.[1]

b) Les spectacles reposent sur l’illusion. Celle-ci est l’apparence qui se présente à nous comme la réalité. Il existe autant de variétés d’illusions que nous avons de sens. On voit se produire tour à tour l’illusion de la vue, de l’ouïe, de l’odorat, du goût et du toucher. On peut déterminer six classes d’illusions :

1* Les illusions naturelles. Par ex. le mirage, la réfraction de la lumière, l’écho.

2° Les illusions pathologiques : tous les états mentaux relevant de la maladie.

3° Les illusions scientifiques : la plupart des instruments d’optique peuvent créer ces illusions. En particulier les glaces déformantes, le microscope même, qui a la propriété de faire paraître les objets plus gros qu’ils ne le sont réellement.

4° Les illusions artistiques : ce sont toutes les conventions qui interviennent, par ex. la perspective dans le dessin et la peinture ; la sculpture en relief ou en demi-bosse.

5° Les illusions du théâtre réalisées par le moyen des décors, des lumières, de la mise en scène, des imitations : orage, pluie, tempête, bataille, roulement de voiture, cloches, etc.

6° On pourrait ajouter l’illusion documentaire celle du document appelé à représenter la chose elle-même.

André Chénier écrivit : L’illusion féconde habite dans mon sein. D’une prison sur moi les murs pèsent en vain. J’ai les ailes de l’espérance.

243.62 Théâtre.

1. Notion.

a) Le théâtre est une reproduction de la vie, avec reconstitution des milieux historiques ou géographiques. Il devient de nos jours une synthèse de tous les moyens susceptibles de créer l’illusion de la réalité complétée par celle de l’art. La parole, la musique, le costume, la mise en scène, le mobilier et le décor.

b) Le théâtre n’est qu’une transcription, une interprétation de la vie exactement au même titre que les autres arts. (P. Souday.) C’est au théâtre que l’art déploie le mieux tous ses prestiges. Sur la scène, on fait apparaître tous les héros de la fable et de l’histoire, comme aussi les personnages et les passions du jour : tout favorise l’illusion. « Le spectateur est témoin, en quelques heures, de faits tragiques, qui rempliraient une vie entière. Des événements mémorables se passent sous ses yeux : il assiste à des entrevues fameuses, à des complots ténébreux, à des luttes décisives. Confident de tous les personnages, il est informé de leurs projets et mis au courant de leurs intrigues ; l’innocent lui est connu ainsi que le coupable ; il assiste à toutes les péripéties du drame, et il attend, en tremblant, le dénoûment. Il semble que l’art ici se surpasse lui-même, et que la scène l’emporte sur la tribune. Il n’en est rien cependant. La parole brille au théâtre, mais elle ne règne que par l’éloquence et le discours. » (E. Blanc.) Le théâtre est un des modes les plus importants de l’ « Expression ». Il permet aux hommes de se promener dans un fauteuil d’orchestre à travers les pays, les temps, les années, les sociétés.

c) Assembler les hommes, c’est déjà les émouvoir, disait Thiers. Le théâtre peut et doit servir l’évolution des idées. Sa voix éloquente plaide avec plus d’autorité que le livre ou le journal en faveur de la justice et de l’humanité. L’influence directe qu’il exerce sur l’opinion doit être, en certains cas, utilisée au mépris de toutes théories sur l’esthétique dramatique. Le spectacle fréquent de belles pièces doit faire partie de la culture intellectuelle, donc morale, d’un individu. Il lui donne au même titre qu’une lecture sérieuse, que la vue d’un noble tableau, que l’audition d’une belle symphonie, des idées plus hautes que les pensées médiocres où l’inclinerait la banalité de sa vie personnelle. Il éduque sa pensée et affine ses mœurs ; il moralise aussi, mais par un prêche déguisé. Il est vrai que le théâtre s’adressant à une foule hétéroclite, ne peut par suite aborder que les thèmes les plus généraux de la sensibilité humaine.

d) Le théâtre est redevenu un instrument systématique de la propagande. Les communistes organisent dans chaque pays une section du Théâtre Prolétarien. Les anticommunistes sont entrés dans la même voie.[2]

e) Le théâtre peut être considéré comme un moyen complexe d’expression d’idées très complexes ; une machine, un outil à penser.

f) La documentation peut sous plusieurs points de vue réclamer le Théâtre comme entrant dans son domaine. C’est évidemment un substitut du Livre : le livre joué. C’est par excellence une « représentation » fictive ou naturaliste de la vie elle-même, souvent une reconstitution historique. Le théâtre continue, sous la forme orale, la modalité que revêtait toute la littérature avant qu’elle ne fut écrite. Le théâtre repose sur l’illusion. C’est un substitut de la réalité. La littérature théâtrale est considérable. Elle a fait l’objet de grandes collections spécialisées

2. Histoire.

Le théâtre a une longue et complexe histoire.

a) Les hommes d’État de l’ancienne Grèce ont su tirer parti du théâtre, profiter de la curiosité des hommes pour

  1. Ex. Sidonic Panache : mise en scène qui dépasse 1 million de francs ; 200 artistes, 10 chevaux en scène ; 16 tableaux somptueux.
  2. La Tragédie du Dniester, drame en 4 actes de P. Paul Humpers. (Séminaire apostolique des Frères oblats, Waeregem. Belgique.)