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OPÉRATIONS. FONCTIONS, ACTIVITÉS

251.33 Rédaction, composition : le manuscrit qui « s’écrit ».

Rédiger : c’est toute l’œuvre littéraire, toute l’œuvre de la rhétorique et du style (voir n° 225).

1. La réalisation de l’œuvre.

a) L’auteur opère son choix entre tous les sujets, entre toutes les formes littéraires et documentaires et, pour le traiter, entre tous les ordres de disposition, entre toutes les idées, toutes les possibilités de phrases, entre tous les mots. Car élaborer une œuvre, c’est procéder à une sélection continue.

b) L’écrit peut et doit être la pensée à l’état le plus parfait ; les paroles s’envolent, les écrits restent. Boileau a dit : « C’est ordinairement la peine que s’est donnée un auteur à lire, à perfectionner ses écrits, qui fait que le lecteur n’a pas de peine en le lisant. » Ailleurs il a dit : « Vingt fois sur le métier remettez vos ouvrages, polissez-les sans cesse et les repolissez. » Satena a dit : « Un écrit qui sent le travail n’est pas assez travaillé. » Et H. Taine a donné cette définition : « Un écrit quel qu’il soit ne fait que manifester une âme. » Écrire un livre, disait Verhaeren, c’est faire un acte de volonté. Il s’agit durant trois mois, six mois, un an ou plus, à concentrer son esprit sur un même sujet, à s’y intéresser, à le dominer, à l’embrasser.

c) Un livre représente des milliers de coordinations d’idées. Tout un livre est présent à l’esprit de l’auteur au moment où il l’achève.

Le lecteur qui consulte un gros livre de 500 pages, parfois de mille et plus, s’est-il rendu compte de la manière dont l’auteur avait dû procéder pour rédiger son ouvrage ? Il n’a pas la naïveté de croire que le savant compose en écrivant son texte d’affilée, commençant a la première et finissant à la dernière ligne. Les procédés suivis sont fort intéressants à connaître ; de leur comparaison et examen, il est possible de dégager des conseils généraux, voire une méthode de composition.

d) Pour réaliser l’œuvre, il y a d’abord le tempérament de l’auteur ; puis sa préparation générale ; puis l’inconscient qui a travaillé en lui, amassant des documents pour ses réflexions futures, puis la documentation spéciale de son sujet ; enfin l’ambiance intérieure et extérieure de l’heure et le réflexe normal contre les images cérébrales qui seront successivement évoquées par l’esprit.

Devant le papier blanc, et une fois la plume à la main, la pensée va se développer, se dérouler, se dévider. Elle est comparable au fil qui se débobine, à la pelote de fil. La pensée est orientée vers un point central et c’est à l’exposer, à l’expliquer, à le « correlater », à en dire les conséquences que la pensée s’efforce. Dans le document, et par écrit, la pensée procède à la manière dont elle le fait dans la conversation et par la parole.

e) C’est au moment d’écrire que s’achève l’édifice de la pensée. Des matériaux, des données réunis en notes, se dégagent nettement alors une idée d’ensemble, une thèse, ou une organisation. « Lorsque le travail de préparation une fois accompli, l’écrivain réalisateur qui compose s’est par un effort sui generis, placé au cœur de la question, il éprouve une sorte de sentiment inspirateur qui s’épanouit en livres ou en articles. Non que les développements du livre ou de l’article achevé, avec la multiplicité des idées et des mots, puissent être contenus en raccourci dans un sentiment initial parfaitement indivisible, mais ce sentiment (un schéma dynamique) possède en soi on ne sait quelle puissance de les susciter. » (Bergson.)

Écrire, c’est un procédé de création et non seulement d’expression. La plume à la main l’écrivain non seulement transcrit une pensée qu’il aurait formée préalablement, mais il l’élabore. Des idées lui viennent en écrivant par le jeu des associations ; il doit les clarifier en les revêtant de mots nécessaires à les exprimer ; il doit les systématiser par la nécessité même où il est d’en présenter un exposé et de les rendre explicites ; il est placé devant les incohérences, les trous, les isolements d’une conception simplement ébauchée. La vision limitée du point à résoudre canalise alors son attention et facilite l’effort de création.

f) Tout ouvrage doit avoir une sorte de vie intérieure qui doit animer le plan et lui donner de l’unité. Les différentes idées émises ne doivent être que des faces d’une idée plus générale qui les englobe toutes. C’est la loi supérieure de tous les arts qui tâchent de faire concourir tous les détails d’une œuvre quelle qu’elle soit : tableau, statue, pièce en vers, à la traduction d’un sentiment unique.

« Je donnerais presque comme une loi, dit F. Sarcey, qu’il ne faut avoir qu’une idée mère, qui s’éclaircit et se confirme par trois ou quatre groupes de développements successifs. » Tout le discours est un ; il se réduit à une seule proposition mise au jour par des tours variés. Un sujet bien composé est comme un animal vertébré.

g) Des ouvrages sont écrits d’affilée. D’autres subissent beaucoup d’étapes, leurs auteurs les revoient, les refondent à plusieurs reprises. Leurs manuscrits aux passages biffés, aux pages intercalées, aux corrections à encres diverses laissent voir leur pensée à la recherche de la formation définitive.

L’idée peut aller aussi en s’accumulant (idée cumulative). On rédige alors séparément, mais parallèlement, les exposés particuliers à des dates successives. Un premier mémoire d’abord, puis un deuxième qui cumule le premier et le deuxième, puis un troisième qui cumule le deuxième et le troisième.

h) L’enseignement est une préparation à l’art d’écrire. Les humanistes apprennent à organiser la vie mentale, à créer les hiérarchies des idées et des concepts ; voire à composer des écrits, à mettre en relief l’important et dans