Page:Otlet - Traité de documentation, 1934.djvu/276

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
253
269
DISTRIBUTION DU LIVRE

les impose ; elle prétend créer l’événement littéraire. Par des coups d’audace, elle conquiert le lecteur ; avec ingéniosité, elle s’entend à le retenir.

Les éditeurs trop souvent bourrent le crâne en disant « le public aime ça ». Les éditeurs ne doivent pas suivre la foule, mais la précéder en publiant les écrivains qui par leur personnalisme affirmé révèlent un esprit original indépendant.

c) D’autre part, les causes qui limitent la publicité des imprimés destinés aux hommes spéciaux sont : tirages trop restreints, hauts prix provenant surtout d’un luxe exagéré dans les planches, insertion d’articles hors de leur vraie place ou dans des ouvrages et revues qui concernent des objets trop variés, absence de tables propres à faciliter les recherches dans de longues séries.

d) L’édition au service de la propagande occupe une place considérable. Il serait curieux de connaître les sommes dépensées directement ou indirectement par les gouvernements à cet effet. Il n’y a pas seulement l’U. R. S. S. ni les anciens belligérants. En fêtant son Centenaire, la Librairie Hachette a dit s’être mis au service de la pensée française. Il y a les propagandes religieuses, celles de la Foi à Rome, la Société biblique de Londres. Il y a la littérature de tous les partis politiques et sociaux, de toutes les associations à but social.

e) Des éditeurs sont engagés largement dons les luttes politiques. Ainsi en Allemagne, pour les œuvres de littérature sociale, certains comme Ernst Rowolt avaient approuvé le mouvement de gauche, tandis que d’autres comme la Hanseatische Verlagensteld fournissaient l’armature intellectuelle du mouvement national-socialiste.

8. — Organisation commerciale.

a) Lee maisons d’édition modernes se sont données une puissante organisation commerciale et financière. Parmi les valeurs de placement, il en est peu qui offrent la sécurité d’une maison d’édition. En effet, alors qu’en industrie la durée d’un brevet est limitée à 15 années, la propriété littéraire ne cesse que 50 ans après la mort de l’auteur. Un fonds se constitue dont la valeur ne saurait décroître. Cette valeur n’a guère d’égale dans d’autres branches du commerce ou de l’industrie. La maison d’édition riche d’un fonds de propriétés littéraires, offre toute la sécurité des entreprises à monopole, un monopole multiple et de longue durée.[1]

b) Au début, les imprimeurs éditeurs publièrent indifféremment tout ce qui était offert à leur activité : livres religieux, sciences, romans, etc. Ce n’est que dans le courant du siècle dernier que nous voyons l’éditeur se cantonner dans une spécialité : enseignement, droit, médecine, etc., au fur et à mesure du développement de la clientèle et sous la pression de la concurrence.

c) Le phénomène de la concentration s’est poursuivi dans l’édition. Au cours du XIXe siècle, on trouve en Allemagne une spécialisation croissante de maisons indépendantes ; cette tendance atteint son plein développement après la guerre grâce à l’adoption des principes de la rationalisation moderne. Parallèlement, on observe un grand mouvement qui tend à imposer de plus en plus le trust et le cartel, mouvement déterminé non seulement par des raisons d’ordre purement commercial ou littéraire, mais aussi par une orientation nouvelle des façons de penser.

En France, on a assisté à l’accaparement de tous les débouchés commerciaux de librairies, de kiosques, de gares, de marchands de journaux et même de maisons d’édition.

Les grands consortiums d’éditeurs et libraires sont souvent plus nuisibles qu’utiles, parce que dirigés infailliblement vers des buts politiques ou financiers.

9. — Organisation corporative.

a) Dans tous les pays les éditeurs ont formé des organisations corporatives, tantôt spécialisées à la seule édition, tantôt comprenant aussi les librairies.

b) En France, la Société des Gens de lettres concentre la présentation des œuvres de ses membres aux éditeurs, aux revues, aux journaux. Les textes de ces œuvres sont généralement polycopiés. Cette organisation ne va pas sans une certaine commercialisation de la littérature, et, le « tirage à la ligne », où se complaisent tant d’auteurs professionnels. Les textes reproduits donnent lieu en effet a un droit fixe de tant la ligne qui revient aux auteurs par l’intermédiaire de la société.

c) Il a été fondé un Congrès International des Éditeurs. Après une interruption de 18 années, il a repris ses travaux en 1931 (9e série) ; 16 nations y ont participé. Le Congrès s’est réuni à Bruxelles en juillet 1933.

253.2 La Librairie.

Dans la chaîne des opérations du Livre il est réservé à la Librairie de recevoir les ouvrages tout confectionnés de la main des Éditeurs et de les offrir en vente aux acheteurs. À première vue c’est fort simple. En fait c’est d’une complication considérable. Car à l’encontre de tout autre commerce, celui du Livre présente trois caractéristiques : A) Les objets vendus sont différents d’ouvrages à ouvrages. Ailleurs ils sont fongibles, ici ils sont individuels. Une Librairie possède ainsi des centaines et des milliers de livres distincts en un nombre plus ou moins grand d’exemplaires. B) Les objets désirés par les acheteurs lui sont ordinairement peu connus. Les acheteurs viennent s’approvisionner d’aliment intellectuel, de nourriture li-

  1. Prospectus la « Société des Éditions de la Sirène » Calman Lévy se vit adjuger pour 500 francs, à la mort de Baudelaire, la propriété des œuvres du poète vendues par ses créanciers. Durant les cinquante années qu’en a duré la propriété littéraire, le seul recueil des « Fleurs du mal », souvent réédité, a rapporté une centaine de mille francs.