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LE LIVRE ET LE DOCUMENT

établir un « index des œuvres étrangères au caractère allemand ». Cette commission fixera également la liste des journaux et revues qui seront tolérés dans les salles de lecture. Les livres mis à l’index seront brûlés sur une place publique. Les étudiants assurent qu’ils cloueront au pilori les écrits non allemands. Les livres marxistes et communistes réunis en mai 1933 pour être brûlés atteignaient le chiffre de un million.

e) La guerre mondiale, qui a été une collectivisation de toutes les forces des pays en lutte, a mobilisé les plumes et même les consciences.[1]

Pendant la guérie était puni le « défaitisme militaire », expression de tout doute au sujet de la victoire finale. Après la guerre, on connut le défaitisme social ; les doutes au sujet de la supériorité du système capitaliste et la sympathie pour le communisme de l’URSS firent l’objet de censure. Tout récemment, en Autriche, le gouvernement a proposé une loi pour la répression du défaitisme monétaire dans ses manifestations écrites ou orales. On ne pouvait s’exprimer en termes inquiétants sur la stabilité du schilling.

f) L’ordre du jour du Grand Quartier général français en date du 25 août 1917 concernant les recommandations à faire à la Presse est très remarquable. Il prescrit ce qu’il faut éviter, ce qu’il faut dire ; il contient des observations sur la psychologie des soldats liseurs de journaux.[2]

La censure recevait des consignes : ne pas démoraliser le pays, en conséquence supprimer tout ce qui pourrait influencer défavorablement l’optimisme officiel et obligatoire. Par exemple : ne pas laisser signaler les pertes subies, les avions abattus, les navires coulés, les villes bombardées ; échopper les descriptions aussi horribles que véridiques de ceux qui ont vu, bref conserver à la guerre cette allure franche et joyeuse que le Kronprinz n’a pas été seul à y découvrir.

Depuis les révélations de Pierrefeu (Plutarque a menti) on connaît les recettes subtiles de l’art du communiqué.

g) La censure militaire a d’étroits rapports avec le service de sûreté militaire et celui-ci avec le service d’information (dit espionnage quand on désigne le service de l’ennemi).

Au secret militaire correspond les efforts pour se procurer des pièces, des photographies, les lire, les voir, tout au moins. C’est l’espionnage. Toutes les armées ont des services dits de renseignements : 2e Bureau en France, Intelligence Service en Angleterre, etc. Les historiographes de la grande guerre rapportent qu’avant la bataille devant Amiens (Somme) en mars 1918, l’Intelligence Service avait percé à jour, dès février, le plan de l’ennemi ; il avait vraiment lu dans ses projets à dossiers ouverts. La divulgation ou la recherche des secrets d’ordre militaire est punie de mort ou de détention perpétuelle par l’ordonnance d’Empire destinée à réprimer « la trahison contre la nation allemande ».

4. — Censure religieuse. Prohibition.

a) L’Église a défendu aux fidèles l’accès direct aux écritures sacrées. Elle estime qu’une bonne préparation théologique est nécessaire. Elle craint les fausses interprétations, les citations erronées, les accommodations impropres voire irrévérencieuses et même obscènes. Pour ne pas errer, il faut connaître, outre le latin, le grec, l’hébreu et l’aramaïque.[3]

b) On a assisté à de curieuses interdictions. Chargé par le Pape de réorganiser les écoles de France en 1225. le Cardinal le Coursoni, celui qui donna à la corporation des maîtres et étudiants d’alors le nom d’Université, autorisa l’enseignement de la dialectique d’Aristote, mais interdit sa physique et sa métaphysique. Il y a eu les expurgations au XIIIe siècle, au moment où parut dans le monde chrétien les traductions greco-latines et arabo-latines d’Aristote. On voit le Pape Grégoire IX charger trois théologiens de Paris d’examiner ces livres. Ils doivent en préparer un texte expurgé qui puisse être mis dans les mains des étudiants. La revision toutefois demeure à l’état de projet. Saint Albert le Grand et Saint Thomas d’Aquin ont continué à commenter les œuvres d’Aristote, dont la lecture était interdite sous peine d’excommunication.

c) Pour défendre la vérité religieuse contre les attaques des hérétiques fut organisée l’Inquisition, D’après Llorente, l’Inquisition espagnole, de 1481 à 1808, a jugé 341,021 individus, dont 31,912 ont péri sur le bûcher et 17,699 ont été brûlés en effigie ; les autres ont été condamnés à des peines moindres mais toujours graves. On prétend que la Bibliothèque de l’Escurial renferme un exemplaire de tous les ouvrages qui ont été brûlés par l’Inquisition.

d) Une bulle de Léon X, lancée le 14 juin 1520, condamna comme hétérodoxe 41 propositions de Luther en lui accordant soixante jours de réflexion pendant lesquels il aurait à se rétracter sous peine d’encourir l’excommunication. Luther répondit en écrivant Contre la Bulle de l’Antéchrist. Le 10 décembre, il brûla la bulle d’excommunication avec le droit canon, les écrits d’Eck et d’Emser contre lui et plusieurs ouvrages de scolastique et de casuistique en disant : « Parce que tu as affligé le Saint du Seigneur, sois affligé par le feu Éternel ». Il avait annoncé cet autodafé par une affiche publique.

e) Il y a des formes de critique officielle. Les propositions extraites des livres font l’objet de dénonciation à

  1. Demartial : La mobilisation des consciences.
  2. Berger, Marcel et Allard, Paul. — Les secrets de la censure pendant la guerre. (Edit, les Portiques, 144.)
  3. Giuseppe Ricciotti, — Bibbia e non Bibbia Brescia, Morcelliano, 1932.