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CRITIQUE, CENSURE

pensée française à l’étranger contre la sortie de sales et mauvais livres. (André Cadoret)

Le règlement scolaire modèle des écoles primaires supérieures (28 décembre 1888) dit a l’art. 15 : « Le Ministre peut interdire l’usage dans les écoles des ouvrages d’enseignement, de lecture ou de prix, qui seraient contraires à la morale, à la constitution ou aux lois. »

e) La pensée ligotée trouve cependant vingt moyens de s’exprimer quand même. Ce sont les publications interdites, celles qui circulent sous le manteau ; c’est à défaut d’écrits, la conversation, la réunion secrète, voire la société secrète. Ce sont les formes variées que prend le Folklore pour exprimer des protestations, avec ou sans précision : par ex. à Rome, le Pasquino (d’où Pasquinade), la statue au pied de laquelle, pendant quatre siècles, se sont attachés les libelles ou les vers contre le Pape souverain de la ville[1] ; en Belgique les protestations contre l’occupant allemand pendant la guerre mondiale.

f) La censure, disent ironiquement les écrivains réactionnaires, améliorait le style des auteurs, elle les contraignait à l’ingéniosité. En leur accordant trop de licence, on leur a fait perdre l’art des sous-entendus.


2. — Historique.


Les trahisons et les lèse-majesté ont été punies depuis le commencement des temps. Les livres religieux hérétiques ont été brûlés par Constantin et les autres empereurs chrétiens. La pratique fut continuée pendant le moyen âge par les autorités ecclésiastiques et les gouvernements civils. Savonarole brûla les livres de ses adversaires. L’invention de l’imprimerie, en facilitant la multiplication des livres, accrut le danger des livres aux yeux des autorités civiles et religieuses. Les premières licences, les premiers privilèges accordés aux imprimeurs, étaient en partie inspirés par le désir de contrôle.

Toutes espèces de restrictions vinrent limiter les imprimeries ; presses et livres furent confisqués et brûlés ; imprimeurs et auteurs furent emprisonnés et parfois exécutés. Les premières listes de livres censurés furent publiées à Paris (1544), Louvain (1546) et Venise (1549). Le premier Index romain de livres défendus parut en 1559. Il entrava l’expression de la pensée mais ne l’arrêta pas. Les réformateurs contre qui étaient prises les mesures ripostèrent par des mesures non moins sévères à l’égard des œuvres catholiques.

La simple possession de certains livres a été interdite bien des fois au cours de l’histoire. Au Portugal, par ex., les Juifs doivent attendre Manuel II pour pouvoir avoir des synagogues et posséder des livres hébreux.

Un arrêt du Parlement de Paris du 16 août 1666 défendait de vendre « aucun libelle ou écrit qualifié gazette à la main, sous peine pour la première fois de bannissement et pour la seconde des galères ». La Bruyère peut dire « Un homme né chrétien et français est fort embarrassé pour écrire, les grands sujets lui étant interdits et les petits lui étant défendus ». Duclos commença en 1770 une conférence en ces termes : « Messieurs parlons de l’éléphant ; c’est la seule bête un peu considérable dont on puisse parler en ces temps-ci sans danger… » Cette politique de censure dura jusqu’à la Révolution et fit beaucoup souffrir l’édition française. L’Assemblée Nationale l’abolit.

Mais elle fut rétablie sous Napoléon. Dans une notice consacrée à Lalande, Jarrin raconte l’interdiction d’écrire faite à celui-ci sur l’ordre de Napoléon par l’Institut. La Restauration, la monarchie de juillet, Napoléon III et le gouvernement de la grande guerre se sont servis de la censure. Louis Veuillot, le grand pamphlétaire catholique qui eut particulièrement à souffrir des restrictions apportées sous le second empire à la libre expression de la pensée, s’est exprimé à ce sujet dans « Les odeurs de Paris » et dans « Le Prologue du fils de Giboyer ».


3. — Dans les divers pays.


La censure a existé dans presque tous les pays ; suivant les temps, elle y a été plus ou moins rigoureuse. Pratiquement presque tous les gouvernements retiennent le droit de censure, de supprimer ou de confisquer les publications de caractère immoral ou révolutionnaire.

a) Aux États-Unis, des efforts pour rétablir la censure ont été faits récemment en connexion avec la controverse des « Fondamentalistes » et l’enseignement de la théorie de l’évolution. Chicago a été le siège d’une agitation pour « cent pour cent d’Américanisme dans les livres d’enseignement ».

b) La Russie tsariste avait comme instrument le caviar. Bien des difficultés sont faites en URSS à la liberté de la pensée écrite et parlée. L’Imprimerie est largement officialisée. La plus jeune fille de Tolstoï n’a pu réaliser une édition complète des œuvres de son père (cent volumes) a raison de leur caractère religieux.

c) Les organes de presse italiens sont sous le contrôle exclusif du gouvernement, les éditeurs des principaux journaux sont nommés ou révoqués directement par le Duce. En outre, le bureau central de Rome donne, chaque jour, des « recommandations » sur la politique internationale, les livres nouveaux, etc. ; de plus, les informations venant de l’étranger sont centralisées, filtrées et redistribuées. C’est le régime dit de « vérité imposée ».

d) Le gouvernement allemand d’Hitler a pris des mesures allant jusqu’à l’expulsion contre les journalistes étrangers coupables à ses yeux de donner des événements qui se déroulent en Allemagne une version autre que celle qui est officiellement admise. Le gouvernement a chargé une commission de reviser les catalogues pour

  1. Pasquino, par Renato et Fernando Silenzi, Milan. Valentino Bompiami (Recueil de satires populaires depuis l’an 1500).