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LE LIVRE ET LE DOCUMENT

257.4 Manières diverses de lire.

Il est diverses manières de lire et d’utiliser livres et documents :

1° Lire en entier d’une traite et d’affilée, comme le permettent les œuvres littéraires ; 2° S’instruire et apprendre en lisant et en relisant. S’assimiler un ouvrage en l’analysant la plume à la main pour en faire la base de réflexions personnelles ou de discussions ultérieures dans des groupes d’enseignement mutuel ; 3° Consulter certains passages des livres reconnus par soi-même ou sur références de tiers, certains éléments, chapitres ou faits pour y recueillir des informations sur des questions particulières et les utiliser dans ses travaux ; 4° Parcourir rapidement les livres en les feuilletant et les maniant. On fait ainsi une première reconnaissance dans le vaste domaine des livres, on entre en contact avec les ouvrages classiques fondamentaux célèbres, ou on applique sa mémoire visuelle et topographique à l’examen d’une collection entière ; 5° S’astreindre à un cycle de lectures graduées, variées, suivant un plan arrêté d’avance et pouvant s’étendre sur plusieurs années et même sur la vie entière.

Toutes ces opérations intellectuelles sont bien différentes. Toutes ont leur utilité, pourvu qu’elles interviennent avec discernement et soient appropriées à chaque cas, suivant les livres, les lecteurs ou les buts poursuivis par la lecture.

a) Lecture formative. La Lecture et la Culture. — L’éducation générale comporte toutes les connaissances et tout le développement personnel que doit ambitionner une personne désireuse de s’assurer les bénéfices multiples de l’ère de perfectionnement où nous vivons.

« La lecture formative » a pour but de rendre l’individu plus intelligent et meilleur. Elle accroît le sentiment, élargit les conceptions de la Nature et de la Vie de l’Homme, de la Société et de l’Univers, elle inspire l’amour du travail, de l’effort et le sentiment de la dignité humaine. On s’élève par la lecture d’un beau livre, on sort de la matérialité ambiante.

b) La Lecture systématique. — La lecture systématique s’opère d’après un plan de lecture. Celui-ci s’établit soit à la manière des programmes de l’enseignement, qui déterminent les questions et leur ordre, soit à la manière des syllabus qui indiquent les sources à consulter et les lectures à faire. Des « Guides pour autodidactes » (autodidaxie, enseignement par soi-même) sont plus complets et se rapportent mieux à l’enseignement supérieur. Les guides polonais et russes sont des modèles dont il n’existe pas d’équivalent en français.[1] Les cours par correspondance dont l’extension est très grande dans les pays anglo-saxons, s’appuient en grande partie sur des lectures systématiques à faire.

La lecture est forcément parcellaire. Elle peut tendre à devenir encyclopédique. Mais elle ne saurait produire d’elle-même la synthèse dans l’esprit suivant les capacités et les besoins de chacun. Il faut encore que des lectures d’ordre général interviennent pour aider à cette synthèse, fruit des générations auxquelles sans grand travail et temps ne peut accéder l’esprit livré à lui-même. Longtemps l’enseignement a manqué d’organisation et de synthèse. On doit envisager maintenant la nécessité d’organiser la lecture en s’inspirant de la manière dont on a organisé l’enseignement, en évitant une simple juxtaposition dans des compartiments ébauchés et souvent avec des méthodes archaïques.

c} La Lecture instructive ou scientifique. — Elle a pour but de meubler l’esprit des connaissances générales et spéciales et d’aider à la formation des opinions. — Les lectures scientifiques doivent fortifier l’esprit, rectifier le jugement, augmenter la mémoire en étendant les facultés assimilantes. Le cerveau est le filtre des idées, c’est à lui de passer au crible tout ce que nous lisons, tout ce que nous entendons. L’essentiel est de se former le jugement qui décide en dernier ressort ce qu’il y a lieu de retenir ou de rejeter et ainsi, chacun, sur les matières qu’il étudie et en présence des contradictions des auteurs, est amené à sélectionner ce qu’il tient pour vrai et à constituer en quelque sorte son propre système. C’est une synthèse qui s’opère en chaque esprit, mais une synthèse qui a ce caractère d’être toujours perfectible, accrue et modifiable. Il n’y faut aucun entêtement et, s’il faut tenir à ses idées, lorsqu’on les croit justes et vraies, il ne faut pas hésiter à les modifier, lorsque d’autres sont reconnues plus justes. Penser librement est bien, penser selon la vérité est mieux. — « L’art de lire des livres de sentiment consiste à se laisser aller au sentiment. Mais l’art de lire des livres d’idées consiste en une comparaison et un rapprochement continuels. Matériellement on lit un livre d’idées autant en tournant les feuillets de gauche à droite qu’en les tournant de droite à gauche, c’est-à-dire autant en revenant à ce qu’on a lu qu’en continuant à lire. Le livre à idées, autant et plus encore qu’un autre livre, ne peut pas tout dire à la fois ; sa signification se complète et s’éclaire en avançant et on ne le possède que quand on a tout lu. Il faut donc, à mesure qu’il se complète et qu’il s’éclaire, tenir compte sans cesse, pour comprendre ce qu’on en lit aujourd’hui, de ce qu’on en a lu hier et, pour mieux comprendre ce qu’on en a lu hier, de ce qu’on en lit aujourd’hui. » (Émile Faguet). Il s’agit de prendre possession des faits, des idées, du

  1. Voir l’analyse de ces guides dans le Bulletin de l’Institut International de Bibliographie, 1911 ; voir aussi Boïarsky. (Enseignement autodidacte dans la collection Le Musée du Livre, Bruxelles).