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CONSERVATION ALTÉRATION

c) Pendant la guerre sino-japonaise, dite par euphémisme répression du brigandage, on eut à déplorer à Chapeï la destruction irréparable de la Bibliothèque de l’Extrême-Orient et de stocks de la maison d’édition China Commercial Press.

d) Le butin de guerre a souvent porté sur les livres. Pendant les guerres de la Révolution et de l’Empire, chaque conquête amenait à Paris (d’Autriche et d’Italie notamment), l’envoi de quelques précieux objets d’art ou de littérature, destinés à enrichir le trésor national. C’était acquis soit comme trophée, soit en vertu de convention stipulée dans les traités. À la chute de l’Empire, la France fut contrainte à des restitutions. Après la guerre mondiale les traités ont compris des stipulations relatives aux collections. À côté des destructions, il y a eu les grands pillages de livres, analogues aux pillages des œuvres d’art, par ex. les manuscrits et les livres de la Géorgie, qui ont été transférés à Moscou, d’où plus tard ils ont été retournés.

e) Les étudiants de l’Académie des Beaux-Arts de Leningrad ont mis en jugement l’ex-directeur M. Masslov et son assistant, coupables d’avoir détruit 60,000 œuvres d’art et reproductions en plâtre de l’ancien régime. M. Masslov estimait, après la révolution d’octobre 1917, qu’il fallait faire table rase de toute la production bourgeoise et capitaliste qui ne répondait pas à l’idéologie communiste.

f) Les chefs du IIIe Reich ont déclaré : « nous supprimons des livres le mot marxisme ; il ne faut plus que dans 50 ans un seul Allemand connaisse la signification de ce mot », La Bibliothèque centrale de la Maison du Peuple de Leipzig et la bibliothèque Schoenluk ont été détruites.

g) Tout le long de l’Histoire on a brûlé des livres.[1] Comme l’a reproduit le peintre De Vos dans un tableau du Musée ancien de Bruxelles, Saint Paul à Éphèse livre aux flammes des livres juifs. Les bulles du Pape ont ordonné l’anéantissement de maints ouvrages condamnés pur les tribunaux ecclésiastiques.

Le 10 décembre 1520, Luther brûla solennellement, à Wittenberg, la bulle du Pape Léon X, avec les décrétales de ses prédécesseurs, le corps du droit canon et la Somme de St-Thomas d’Aquin. En France, le Parlement ordonnait autrefois que les livres, objets d’une condamnation, seraient brûlés par le bourreau. Pascal avec ses Provinciales, Fénélon avec son Télémaque, Rousseau avec son Émilie et tant d’autres furent victimes de cette disposition.

Un autodafé de 20,000 livres a eu lieu le 9 mai 1933 à Berlin. Un immense feu en cinq parties fut allumé au milieu de la place, du pétrole ayant été jeté sur le bois. Les étudiants jetèrent au feu les livres apportés par les autos. Une foule immense assista au spectacle et les musiques jouèrent. L’incendie eut lieu à minuit, l’autorisation du Ministre de l’Intérieur ayant tardé jusque là. Le prince Auguste Wilhelm assistait en personne à l’autodafé. Les autodafés de Berlin se répétèrent dans plusieurs villes allemandes. Une immense répercussion de ces faits se produisit dans beaucoup de pays, arrachant des protestations violentes de la plume des écrivains. Non credo, nous ne croyons pas qu’un fait pareil en l’an 1933 soit compatible avec n’importe quelle civilisation.[2]

259.29 Faux et altérations. Vol.

a) Les altérations, les faux constituent une des manières d’enlever aux documents leur intégrité intellectuelle. Le Code pénal vise les faux et les altérations en écritures publiques ou arithmétiques, en écriture de commerce ou de banque. Il les punit de travaux forcés à temps ou à perpétuité. Pour l’atteinte à l’intégrité morale des œuvres, voir n° 274.5 Censure.

b) On a volé de tous temps et on continue à voler des livres partout. Le vol des livres ne constitue pas une destruction de livres proprement dite. Mais lorsque le vol est opéré au détriment d’une collection constituée, il est pour celle-ci une destruction partielle. Plus la collection est complète, plus le vol a de portée dommageable. Les moines de Saint-Victor avaient un tel amour des livres qu’ils allaient jusqu’à excommunier ceux qui les leur dérobaient. Les hommes riches parfois peuvent avoir intérêt à faire voler des pièces là où elles sont. Ainsi le vol de pièces dans le procès de Madame Hanau en France et le vol qui s’effectua dans le procès Coppée en Belgique.

c) Le vol et les altérations possibles obligent à des précautions parfois obstacles au progrès. Ainsi le libre accès aux catalogues et aux collections est rendu impossible s’il a pour conséquence des appropriations indues. Or, s’il n’y a libre accès, on est amené dans les bibliothèques à ne pas donner un ordre systématique aux ouvrages et à se contenter de l’ordre d’entrée, parfois même on s’abstient d’un catalogue systématique, la mémoire du bibliothécaire devant y pourvoir.

  1. Farcrer, James Anton. — Books Condemned to be burned. London. Stock, 1892.
  2. Récit du Telegraaf d’Amsterdam, 11 mai 1933 (Avondblad. 4° bladz., p. 13.) — Voir notre protestation dans La Librairie, Paris.