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ORGANISATION RATIONNELLE DU LIVRE

411.43 Organisation. Concentration du travail et décentralisation.

a) On peut définir l’organisation, l’ensemble des principes et des dispositions pour relier entr’eux d’une façon permanente tous les éléments concourant à un simple ensemble ou à une suite d’acte. C’est à l’organisme formé par cet ensemble et à ses organes reliés aux autres organes qu’est dévolu le soin de veiller à cet ensemble, à son unité, à sa continuité, à son adaptation, à l’éloignement de tout ce qui pourrait le troubler et le détruire, à la réalisation de tout ce qui peut l’améliorer et le développer.

b) L’organisation détermine l’organisme et l’organisme à son tour détermine l’organisation. C’est la fonction qui, en s’exerçant, crée l’organe ; c’est l’organe formé (la structure) qui réalise la fonction. Il y a action et réaction, réciproques et continues. Avec l’avènement du règne humain caractérisé par l’intelligence, un facteur nouveau intervient, la finalité des actes, l’organisation préconçue, la préfiguration des fins et des buts, en conséquence des plans et des programmes.

L’organisation dès lors se présente à trois stades ou degrés. 1° L’organisation est purement idéologique ; elle est dans la pensée. 2° L’organisation est représentée par un organe de caractère social : une convention qui marque un accord convergent de volonté, une institution, un organisme. 3° L’organisation prend un caractère matériel, elle est incorporée dans des objets, des machines, des installations, des locaux.

L’organisation de la documentation doit se poursuivre simultanément et parallèlement dans les trois domaines : idéologique, institutionnelle, matérielle.

c) D’une manière générale, tout ce qui est en dehors du point de vue spéculatif (la pensée pure) et intéresse le point de vue pratique (l’action) donne lieu à « Économies » (organisation, aménagement, gestion, administration) et à Technique. Il y a une Économie et une Technique de la Documentation et elle embrasse les quatre fonctions de production, distribution, répartition, consommation. (Document-économie, biblio-économie, document-technie, biblio-technie.)

Les enfants parlent sans connaître la grammaire, les paysans chantent sans connaître la musique ; ainsi les hommes pour la plupart lisent et écrivent sans se préoccuper de technique littéraire ni documentaire. L’élaboration, la connaissance et la diffusion de cette technique perfectionneront les documents dans la mesure où la grammaire et la théorie musicale ont pu perfectionner la langue et la musique. De même les hommes sont sociables ; ils se rapprochent et concourent spontanément sans prendre pleinement conscience de la réalité sociale, de la science sociale (sociologie), des techniques sociales. Mais c’est sur la base de ces dernières que finalement il est travaillé au progrès social.

Dans le domaine des livres et des documents en particulier, il y a lieu d’arriver à la conscience d’une organisation, d’une économie, d’une technique. L’organisation rationnelle en tout domaine implique buts et plans, coopération, division et répartition du travail, méthodes, ententes.

d) Tandis que tous les objets autour de nous se transformaient rapidement, le livre a offert longtemps ce contraste qu’en sa forme externe il demeurait quasi immuable. Malgré l’évolution de la pensée scientifique, le contenu bibliologique, les modes d’enregistrement de nos connaissances faisaient peu de progrès.

La Pensée de l’homme depuis un siècle a largement un contenu nouveau, science, technique, arts, littérature, sociologie : l’idéologie a été sinon entièrement révolutionnée, tout au moins profondément modifiée et immensément augmentée. À ce contenu il n’est pas possible que ne correspondent des moyens nouveaux d’expression, une adaptation du contenant : le livre, les documents.

Mais depuis quelques années ces points ont fini par faire l’objet d’études et de mouvements. Des innovations réelles se sont produites. Nous sommes seulement à un commencement.

Un certain nombre d’idées et d’inventions ont apporté un progrès considérable à la documentation : la publicité reconnue nécessaire des travaux scientifiques ; la collaboration ; la conception d’un cycle reliant toutes les opérations, tous les travaux ; la classification ; la fiche et le répertoire ; l’office de documentation, l’encyclopédie, l’idée de règles, normes, unités s’appliquant au travail et aux productions intellectuelles comme au travail et aux productions industrielles.

e) Au cours des siècles écoulés une technique et une organisation ont été données à la production matérielle des livres (l’imprimerie) et à leur distribution (librairie). C’est un exemple et la justification de la demande d’organiser aussi les autres parties. Ainsi en imprimerie les lettres ont été standardisées (le point typographique), les règles de correction d’épreuves, largement déjà le format. Il y a toute la belle organisation de la librairie avec ses centrales et ses bourses.

On commence à se rendre compte que le travail relatif au livre ne peut gagner en puissance qu’en s’aidant d’un outillage approprié, qu’il ne peut s’y opérer de la coopération pratique qu’à l’aide de méthodes unifiées et coordonnées. Dans ce double ordre d’idées, chaque jour apporte quelque progrès.

g) On objectera : 1° l’organisation proposée est trop vaste. Mais la pensée elle-même n’est-elle une vastitude incompressible ? 2° L’heure est trouble, cahotique, ce qui divise l’emportant sur ce qui unit. Mais pourquoi ne pas