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ORGANISATION RATIONNELLE DU LIVRE

412.33 Classification alphabétique. Classification décimale.

La classification alphabétique fait usage de mots, noms propres et noms communs, rangés dans l’ordre de l’alphabet, à la manière du dictionnaire : elle est pratique parce qu’elle n’exige aucun instrument intermédiaire pour le classement.

Mais la classification alphabétique par matières a sur la classification décimale les désavantages suivants : 1o elle éparpille la matière sous des rubriques classées arbitrairement dans l’ordre des lettres et non point dans l’ordre des idées comme le fait la C. D. ; 2o elle oblige chacun à fixer soi-même son choix sur les rubriques à utiliser tandis que la C. D. offre un cadre tout prêt ; 3o elle oblige à écrire des mots plus longs que les chiffres, il en est surtout ainsi lorsqu’on désire diviser le mot principal par des mots secondaires ou ceux-ci par des mots tertiaires, alors qu’il suffit d’ajouter aux nombres décimaux un ou deux chiffres ; 4o les mots-matières n’ont de signification qu’en une seule langue, tandis que les indices de la C. D. sont internationaux ; 5o tout classement alphabétique par l’arbitraire du choix des mots a un caractère personnel, tandis que la C. D, a un caractère impersonnel et universel. Par elle est rendue possible la centralisation automatique de documents et de données émanant des sources les plus diverses ; 6o dans l’échange des correspondances, si le correspondant A a eu soin d’inscrire l’indice de classement des pièces sur la copie et sur l’original et cela par une seule frappe, il dispense le correspondant B de procéder lui-même au classement chez lui des originaux. D’où dans l’ensemble une économie de 50 % dans le classement de ces pièces.

412.34 Principales classifications systématiques.

Les classifications françaises ont fort vieilli ; telles celles de Brunet, de la Bibliographie de la France. — Dans les pays anglo-saxons on connaît les classifications de Dewey (Decimal Classification), de Cutter (Expansive Classification), de James Duff Brown (the Subject Classification). La Bibliothèque du Congrès, à Washington, a sa propre classification. H. E. Bliss (The Organization of Knowledge in Libraries, 1933) a présenté une critique des grands systèmes et formulé des propositions pour une classification nouvelle.[1]

412.35 Historique des systèmes existants.

L’histoire des classifications bibliographiques, dites aussi systèmes bibliographiques, est très ancienne et très longue. Elle permet de constater les influences diverses successives qui se sont exercées sur elles. Sans entrer dans aucun détail, voici quelques faits généraux qui caractérisent les grandes étapes parcourues.

On ne sait rien de bien précis sur les systèmes de l’antiquité, bien qu’il soit certain qu’ils aient existé. On connaît les systèmes du moyen âge basés sur le trivium et le quadrivium. Ils servaient aux bibliothèques des monastères, des cathédrales et des châteaux. Au XVIe siècle, avec le développement de l’imprimerie et le progrès des doctrines de liberté religieuse et politique, il y eut des tentatives d’innovation. Gesner en donna le premier exemple.

Au XVIIe siècle, on vit apparaître les systèmes philosophiques fondés exclusivement sur un classement à priori des connaissances humaines. C’est la suite des traités de Bacon et des autres réformateurs des méthodes scientifiques. Ces classifications, cependant, furent appliquées avec une extrême réserve. Au XVIIIe siècle, au contraire, on remarqua parmi les systèmes bibliographiques les mêmes tendances à suivre la tradition ou à appliquer de nouveaux classements à base philosophique. L’ouvrage de Gabriel Peignot (1802) dit bien, par son titre même, toute l’influence exercée sur les systèmes par les progrès de la classification des sciences :

« Essai d’un système bibliographique calqué sur les trois divisions de l’Encyclopédie et précédé d’une notice sur l’ordre observé par Bacon, d’Alembert et Diderot, dans le tableau sommaire des connaissances humaines. » [2]

Au XVIIIe siècle et au commencement du XIXe siècle régnait l’idée, spécialement chez les écrivains français, qu’il appartenait au bibliographe d’apprécier la valeur de tous les livres qu’il enregistrait et d’indiquer la place exacte que tout livre devait occuper dans une classification logique de toute la littérature basée sur une classification antérieure de toutes les connaissances. Mais, peu à peu, on en vint à condamner comme impossibles ces sortes de classifications et l’on revient aux anciennes méthodes. La classification de Brunet, dans son Manuel du Libraire (1810), marque ce retour. Cette classification était, au fond, celle créée par les libraires érudits du siècle précèdent et qui, longtemps fut utilisée en France et au dehors.

Dans l’ensemble du mouvement bibliographique, la France s’est signalée par un très grand attachement à la tradition. L’Angleterre a produit des systèmes pratiques et presque toujours conformes aussi à la tradition. L’Alle-

  1. Ont spécialement traité de Classification bibliographique dans leurs écrits : Bishop, Bradford, Ch. Coulson, Charles A. Cutter, Carl Diesch, H. H. Field, Donker Duyvis, Rudolf Forke, Rudolf Gjelsness, Hanauer, E. Krelt E. Wyndham Halme, H. Lafontaine, Margaret, Mann, Charles Martel, William Stetson, Mervil, Julia Petter, Ernest Cushing, Richardson, Ch. Richet, W. C. Bernwick Sagers, Georg Schneider, H. Sebert, A. R. Spofford, A. Law Vöge, etc.
  2. Peignot, Dictionnaire raisonné de Bibliographie, t. I, pp. 256-289.