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ORGANISATION RATIONNELLE DU LIVRE

contribution à l’édifice général de la science. En ce sens tout auteur doit se considérer comme collaborateur d’une sorte de grand livre universel consacré à l’exposé intégral de la science et formé intellectuellement de l’ensemble de publications faites ; tout travail particulier doit être considéré par la pensée comme une partie d’un tel exposé. Le Livre Universel de la science est supposé être le total des ouvrages publiés ; il a aujourd’hui une existence purement intellectuelle. Mais il tend aussi vers une existence matérielle de plus en plus complète grâce aux grands travaux de codification, de compilation, de retranscription systématique et synthétique à donner au savoir dans les traités, les encyclopédies, les atlas, la catalographie, la bibliographie. L’indexation possède maintenant une technique remarquable, destinée à relever tout ce qui s’est publié relatif à toutes les matières.

L’immense travail qui s’accomplit de cette manière n’est qu’un travail indirect et un travail de seconde main, il doit nous conduire à deux autres espèces de travaux :

1° Extraire des publications le texte même auquel se rapportent les références bibliographiques, les diviser et les disséquer, en redistribuer les données dans le cadre d’un ordre unique, celui adopté par leur catalographie, de manière à rassembler directement tout ce qui concerne un même sujet, à faciliter la confrontation des textes par leur juxtaposition. 2° Conformer les textes eux-mêmes au moment où ils se rédigent. Il s’agit des règles et à des formes rationalisées et unifiées, il s’agit de substituer des normes à l’arbitraire, à l’incohérent, et à l’inutile, à substituer à une individualisation des écrits qui ne tiendrait pas compte des autres écrits similaires et complémentaires, des modes de rédaction apportant une économie au travail ultérieur de classement, catalographie, analyse, redistribution et codification synthétique.

On objectera que c’est là une atteinte grave à la liberté d’écrire, intolérable joug imposé à la pensée qui entend se mouvoir dans les directions et sous les formes que détermine lui même quiconque écrit.

Nous répondrons qu’il nous faut maintenant vin double système d’écrire, celui de la vie et celui de la science. L’un, le système littéraire pouvant être fait de concisions, d’ellypses, de fantaisies, d’originalité, d’à-peu-près même. L’autre, le système scientifique, tout en rigueur, qui use d’une terminologie précise alors même qu’elle serait longue et peu musicale ; qui construit la phrase toujours de la même manière, qui répète des lieux communs et des faits élémentaires parce que c’est la vérité et qu’il faut être complet : qui loin de dissimuler l’échafaudage du raisonnement, celui de la composition s’efforce de le mettre en lumière pour mieux s’assurer que les conditions de vérité ont réalisé le système scientifique ; enfin, qui, délibérément accepte s’il le faut d’être pédant, guindé, et même ridicule à l’égard du premier, le système littéraire.[1]

e) L’immense travail qui s’accomplit de cette manière, n’est qu’un travail indirect et un travail de seconde main. Il doit nous conduire à deux autres espèces de travaux :

f) Le travail scientifique tend à une connaissance de plus en plus complète, de plus en plus exacte. C’est par approximation successive, « à coups de provisoire », que l’on avance. La théorie est le centre de toute science.

Les savants additionnent leurs efforts pour réduire les principes le plus possible, pour leur donner une forme plus pure, plus vigoureuse, plus simple, pour en préciser le véritable sens et le défendre contre des objections trop rapides. On a pu parler dans ce sens de la « lignée » d’une théorie et suivre celle-ci, en tant que méthode appliquée, dans une série d’œuvres traitant de points particuliers ou concrets.

En certains domaines, telle l’économie, la théorie en est encore au simple dégrossissement. Le progrès des sciences consiste à évoluer de l’état qualitatif et descriptif à l’état quantitatif et causal. Les sciences offrent trois types : 1° parfaitement quantitative, l’astronomie de position ; 2° imparfaitement quantitative, la physique et encore plus la chimie, multiplicité colossale de petits phénomènes enchevêtrés ; 3° la science imparfaite, dont les phénomènes bien que statisticables, échappent à une théorie quantitative.[2]

Le raisonnement mathématique sert d’instrument auxiliaire et provisoire, pour déduire plus commodément et avec plus de sûreté des conséquences qualitatives de prémises qualitatives. Car notre capacité de déduire en langage ordinaire est incomparablement plus faible qu’en langage mathématique.

Mais la difficulté mathématique subsiste. Pareto (Manuel) cite le cas, relativement très simple, d’un marché de cent individus et de 700 marchandises. Il y aurait 70,699 conditions à considérer, et par conséquent un système de 70,699 équations à résoudre. Cela dépasse pratiquement la puissance de l’analyse algébrique et cela la dépasserait encore davantage si l’on prenait en considération le nombre fabuleux d’équations que donnerait une population de

  1. Ces questions ont fait l’objet de maints travaux à l’intermédiaire ou en connexion avec l’I. I. B. Citons notamment le code pour la documentation paru en 1919, les rapports présentés au congrès international de la Presse périodique, de la Presse technique et de la photographie documentaire. Parmi les travaux extérieurs à l’I. I. B. il est utile de rappeler les discussions qui ont eu lieu en 1918, à la Faraday Society de Londres (The coordination of scientific publication) discussions qui se sont prolongées et développées ultérieurement dans l’organisation anglaise de l’A. S. L. I. B.

    Aux Conférences internationales de Documentation de 1932 et 1933 des rapports ont présenté des propositions à ce sujet.

  2. Painlevé : Introduction de la Théorie (mathématique) de l’Économie politique de Jevons, 1909.