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LES LOIS UNIVERSELLES

c) La Sociologie a mis en lumière le caractère général de la notion de valeur. La valeur embrasse tout ce qui est humain et social. Elle est une qualité que noue attribuons aux choses comme la couleur, mais qui en réalité, n’existe qu’en nous, d’une vie toute objective. La valeur consiste dans l’accord des jugements collectifs que nous portons sur l’attitude des objets à être, plus ou moins, et par un plus ou moins grand nombre de personnes, cru, désiré ou goûté. La valeur se divise en trois grandes catégories qui sont les notions originales et capitales de la vie en commun : la valeur-vérité, la valeur-utilité et la valeur-beauté.

Le livre participe à ces trois ordres de valeurs par le vrai de ce qu’il présente, l’information utile qu’il apporte, l’élément de beauté qu’il matérialise.

512.8 Métaphysique. Métapsychique. Théologie.

a) Le Livre peut aussi être dit un « Théologisme ». Comme enregistrement, il est comparable à la Conscience Universelle que définissent les spiritualistes de l’ancienne et de la nouvelle École ; à la Conscience divine définie par la Théologie ou la Conscience collective définie par la métapsychique (conscience collective, pensée sans temps et sans espace où toute réalité est représentée ; Dr. Osty).

b) Toujours plus d’analyse est la loi de l’esprit. Et par là on a vu la physique globale d’Aristote dissoudre son propre objet en se heurtant à la physique mathématique des modernes. Et par là on voit de nos jours la Sociologie dissoudre l’hypostase transcendant à la foule de ses membres au contact de la science statistique. À peine constituée avec sa conception et son objet propre, le Livre et le Document, la Bibliologie, science de même lignée que la physique, la psychologie et la sociologie voit cet objet s’atomiser lui même sous l’action de la même analyse.

c) La Bibliologie, selon qu’on la prend, aboutit à un absolu ou s’en détourne. Pour elle également se pose la question de ses rapporte avec la métaphysique. Par le biblion, représentation plus ou moins adéquate de la réalité, c’est au delà du langage que se pose le problème du nominalisme et du réalisme. « L’esprit, la science, le verbe, le document qu’il exprime, peuvent-ils saisir d’une étreinte intellectuelle l’absolu », ou bien, « les efforts du savant ne vont-ils qu’à donner de toutes choses, non pas une représentation adéquate, mais seulement une expression de plus en plus une et toujours commuable d’un esprit à un autre, sur laquelle l’accord universel des esprits puisse en fin de compte se réaliser ? »[1] Voir, dans le livre, l’intelligence aux prises avec elle-même, avec ses doubles, apporter bien des clartés aux plus anciens problèmes de la métaphysique.

d) La notion métaphysique et théologique de la béatitude (fin suprême, bien divin) distingue entre la béatitude objective de Dieu et la béatitude subjective ou autre par laquelle l’homme atteint cette fin suprême. La vision faciale, dans l’éternité, est affirmée ne pas devoir abolir les conditions individuelles qui lui sont compatibles. Car alors rien ne serait moins monotone, moins divers que l’amour de Dieu, qui en réalité s’épanche et fait retour à soi à travers les élus.[2] De ce même point de vue ne serait pas vain tout l’effort des littératures, favorisées dès qu’elles deviennent écrites, pour créer les formes, les espèces et les types représentés dans les lires et saisissables par eux. En conséquence, tout ce qui aura été créé d’individuel par le truchement ou Biblion n’aurait pas à disparaître quelque jour, résorbé dans l’infini.

Au contraire, la littérature aurait aidé à façonner la diversité des âmes et à s’opposer à la dénivellation ontologique qui existe entre l’objet supérieur et la possession de cet objet. Ainsi trouverait un fondement l’immortalité rêvée par les poètes pour leurs œuvres.

513. Les Lois propres aux Livres.

1. Le Livre, réalité nouvelle. — Le livre, le document, ont apporté une réalité nouvelle distincte de toutes les autres : la matérialisation de la pensée. Comme la pensée est une image des choses, le livre est venu donner une reproduction, une copie du monde, celui-ci étant tenu comme le modèle. En effet, trois grands résultats ou lois bibliologiques, dominent l’immense accroissement de documents de notre temps : a) Il se constitue par les livres un véritable dédoublement des esprits, le « double de l’humanité ». b) Ce « double documentaire va en s’affranchissant de plus en plus de ses générateurs les écrivains, se détachent d’eux, il agit ensuite sans eux, et produit un effet en largeur par l’accumulation des données écrites et en profondeur par le processus toujours plus développé de l’abstraction et de la généralisation des idées que rend possible le document. c) Partout, la condition humaine, en est toute modifiée.

L’homme primitif n’avait même pas le langage à sa disposition. Plus tard, sachant parler, il vécut néanmoins dans un silence relatif puisqu’il ne pouvait le rompre qu’en présence de ses semblables. Maintenant l’homme vit dans l’ambiance d’une conversation continue ; des voix lui parlent directement, voix des documents, voix de la radio.

2. Le Livre instrument de l’abstraction. — Dans ce mécanisme, il est une force intellectuelle condensée qui, à la

  1. E. Dupreel. — Traité de Morale. 1932. Voir aussi critique de cet ouvrage par Marcel Decort, Revue catholique des idées et des faits. 4 août 1933.
  2. J. Bellarmin. « Éternelle félicité des saints », (Le Royaume de Dieu, la Cité de Dieu, la Maison du Seigneur, le Paradis).