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ÉLÉMENTS LINGUISTIQUES

que du réfléchi ; mais alors ni improvisation, ni intuition, ni illumination ; une technique sèche, terne, sans vie.[1]

Elocution « Actor and Elocutionist », disent les Anglais.

Ossas-Lourié : « La faculté oratoire est un art inférieur. Les habiles savent en user pour captiver les médiocres qui s’intéressent moins à l’idée qu’à la fabrication, même absurde, pourvu qu’elle flatte leurs désirs et leurs penchants. L’orateur ne produit pas, ne crée pas, il imite, répète ; il n’est jamais créateur, toujours vulgarisateur. »

La justesse de cette affirmation est très contestable. Beaucoup d’orateurs créent.

Au moyen âge, la prédication était douée d’une efficacité intérieure et d’un succès du dehors qui touchaient au miracle. Quelques exemples : Le franciscain Berthold de Ratisbonne (milieu du XIIIe siècle) aurait eu des auditeurs évalués de 60.000 à 200.000. Vincent Ferrier, né à Valence en 1346, Dominicain, parcourut presque en entier l’Espagne, la France, l’Italie, l’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande. Dans tous ces voyages il ne cessait de prêcher. « Des foules immenses de populations le suivaient et les grands volaient à sa rencontre. Il emmenait avec lui des prêtres pour entendre les confessions et célébrer les offices, des chantres et des orgues, des notaires pour rédiger les actes nécessités par des réconciliations entre ennemis, des hommes éprouvés pour soigner les vivres et les logements. Ce n’était pas un homme, mais un ange qu’on croyait entendre. »[2]

Le Vendredi Saint les franciscains en Alsace prêchaient six à sept heures, il se faisait un grand commerce de guides à l’usage de prédicateurs ruraux, « Dormi secure » (Dormez tranquillement, prédicateurs, 36 éditions) et « Dictionnaire des Pauvres ».

La Parole entrave dans le téléphone, l’amplificateur, le phono, le radio, des instruments extraordinaires.

La compétition ainsi se poursuit entre la parole basée sur l’ouïe et l’écriture basée sur la vue. C’est à qui aura l’usage plus facile, plus précis, ira plus vite, plus sûrement, plus agréablement, directement et économiquement.

5. Débats. — Les débats ont une importance considérable dans les pays de libre discussion. Toute une procédure des débats a été instaurée au cours de l’Histoire parlementaire. Deux faits entr’autres la caractérise : d’une part la procédure écrite y est étroitement unie à la procédure orale et à chaque phase des débats correspondent des types des documents : proposition, rapport, résolution ; les débats donnent lieu à des comptes rendus, in extenso, sténographiés ou dactylographiés. D’autre part la procédure interparlementaire s’est à ce point internationalisée que fondamentalement elle est à peu près la même partout, elle a pu servir de type lorsque des hommes se sont rencontrés dans les grands congrès internationaux, qu’ils ont même organisé une Union interparlementaire et fondé la Société des Nations.

Dans la recherche de la vérité ou dans la défense des intérêts par voie d’arguments, toute affirmation est susceptible d’être discutée et de donner lieu ainsi à débat. Au cours du débat (contestation, altercation, controverse, litige) sont présentées les objections, les réfutations, les réponses. La contestation est le refus d’accéder à une allégation ou aux prétentions de quelqu’un.

Des efforts ont été faits de tout temps pour améliorer les discussions orales. Les temps anciens ont connu des formes très bien ordonnées pour la discussion des thèses théologiques et philosophiques, pour les débats religieux (les colloques). Et là aussi l’alliance du document et de la parole a trouvé d’heureuses réalisations. De nos jours, le besoin de débats approfondis et bien ordonnés se fait grandement sentir.[3]

6. Écrire et parler. — Ainsi, le langage prend la forme de l’écriture. L’écriture à son tour transforme la langue. La documentation a des desiderata relatifs à la langue.

Parole et écriture sont cependant choses différentes. La pensée parlée a ses lois, la pensée écrite a les siennes. C’est une erreur de vouloir modeler l’une sur l’autre. La concision, possible dans l’écrit bien réfléchi est difficile dans les expressions parlées. La brièveté du temps de parole est opposée aux développements possibles en parlant. Par contre un rôle y est dévolu aux gestes et aux démonstrations. Mais l’écrit avec son illustration a pour lui la précision.

Cormenin l’a bien dit : « Les discours écrits ne font point d’effet à la tribune, les discours improvisés ne font pas d’effet à la lecture. » Longtemps en Angleterre, il était interdit de lire un discours, il fallait l’improviser. Le rythme de la phrase parlée est différent de celui de la phrase écrite. Le style aussi diffère. Tantôt il faut être plus bref, plus direct, tantôt au contraire plus explicite.

« La nécessité d’un ordre rigoureux ne s’impose pas au professeur qui parle elle devient évidente pour celui qui écrit. Le lecteur a sous les yeux le commencement et la fin, il suit le raisonnement : pas moyen de tricher. Vous pouvez enseigner un cours écrit ; quand vous le rédigez, un cours oral ne tient généralement plus debout. »

(Bouasse)
  1. Parmi les parlementaires vivants, M. Poincaré, ancien Président de la République, écrit ce qu’il va dire. M. Caillaux n’a rien devant lui.
  2. Mœller : Histoire de l’Église, III, p. 39 et 53.
  3. Voir les débats des Tribunes libres, tel que le Rouge et le Noir en Belgique. Les débats organisés au Palais Mondial avec cadre du débat fixé d’avance, annonce à l’assemblée (un objet, une méthode, des conclusions) avec apport sous les yeux d’une documentation largement visualisée empruntée au Musée mondial et à l’Atlas universalis ou préparée pour y être reversée ensuite.

    Modern Debate Practice by Waldo O. Willhoft, London Pittman.