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LE LIVRE ET LE DOCUMENT

titude de règles et une innombrable quantité d’exceptions. C’est avant tout une langue de nuances. Aucune autre peut-être n’a autant de moyens de varier la pensée à l’aide de certains procédés de syntaxe, qui malheureusement sont souvent fort subtils. Écrivains, lexicographes se perdent dans des détails insignifiants et que l’on ne parvient pas à régler d’une manière sûre. Ex. : l’emploi des majuscules, l’usage du tiret, la formation du pluriel dans les mots composés, les règles du participe passé.

Après trois cents années d’existence, l’Académie française a fait paraître récemment sa grammaire toujours retardée. Elle a soulevé une tempête de protestations. L’orthographe est exigée partout mais non toujours obtenue. « Faire des vers sans mettre l’orthographe, a dit le P. Petit, c’est porter un habit brodé sans avoir de chemise ». Napoléon ne connaissait pas l’orthographe, ni avant lui, Henri IV, Louis XIV, le Maréchal de Richelieu.

3. Pour presque toutes les langues, il existe un mouvement réformateur : en français, en anglais, en allemand, en néerlandais, etc. Des ouvrages paraissent en orthographe simplifiée.[1]

4. Depuis le XVIe siècle des efforts nombreux ont été faits en vue d’une réforme de l’orthographe française. Ils ont rencontré de l’opposition.

L’orthographe, disent les opposants, est une forme conventionalisée de l’écriture. Elle a l’avantage de s’imposer aux irrégularités des dialectes et aux changements historiques des sons. Elle lie les forces et les expressions d’une civilisation. Sans orthographe ou avec une orthographe phonétique, Shakespeare et la Bible ancienne seraient des œuvres étrangères pour les Anglais d’aujourd’hui. Le langage littéraire comme lien d’une civilisation et voix d’une nation doit être regardé d’abord comme un langage écrit, bien qu’il ne doive pas rester sans relation avec le parler pour devenir vivant.

Les grammairiens ont donc tenté un effort systématique pour établir un moyen de relation commun et bien authentique entre les communautés à dialectes divers d’une nation.

M. Brunetière a adressé à la réforme deux reproches : elle changerait la « figure » des mots et en altérerait l’« harmonie » et, ce faisant, elle transformerait le français en une sorte de volapük. M. Renard réplique qu’au XVIe et XVIIe siècle l’orthographe avait une autre figure, que dans les éditions d’aujourd’hui on la modernise et que Brunetière lui-même, dans son édition des « Sermons » de Bossuet, n’a pas respecté l’ancienne orthographe.

À la fin du XVIIIe siècle, l’Académie a simplifié en bloc 5.000 mots sur les 10.000 que comptait la langue. Et nul ne protesta.

5. Pour l’anglais, nulle académie n’a la garde de son orthographe. Depuis cinq siècles l’anglais s’est simplifié et perfectionné. Le Dr Murray, éditeur du « New English Dictionary », édité par la Clarendon Press, a fait beaucoup avec ses collègues pour fixer en dernier lieu l’orthographe.

La Spelling Reform Association a fait aux États-Unis le plus grand effort pour simplifier l’orthographe anglaise. Elle poursuit cet idéal : avec 42 caractères différents écrire les 42 sons distincts de l’anglais.[2]

Antérieurement l’Association Phonétique internationale a établi un alphabet pour la notation de toutes les langues. (Voir aussi l’ouvrage Melvil Dewey. Seer Inspirer Doer 1851-1931).

6. Graphisme et phonétisme. — La lutte qui intéresse beaucoup le livre, demeure ouverte entre ceux qui imposent l’orthographe étymologique et ceux qui préconisent l’orthographe phonétique.[3]

C’est la typographie en dernier ressort qui décide de l’orthographe réformée.

Certains pensent que la réforme radicale de l’orthographe française, comme au XVIe siècle, est impossible pour l’Académie. Tous les livres imprimés antérieurement deviendraient du même coup illisibles et le sacrifice serait trop grand.

Les néo-espérantistes déclarent que la langue est faite d’abord pour les yeux ensuite pour l’oreille, et revendiquent le maintien de la forme orthographique des mots. Ils estiment que 90 fois sur 100 le graphisme jouera le grand rôle.

7. Dans les langues autres que le français et l’anglais, la réforme de l’orthographe se poursuit.

Ainsi, l’orthographe serbe a été fixée par Karadjitch au XIXe siècle selon le principe phonétique ; les Croates-Slovènes ont gardé la tradition étymologique, mais Gay, au XIXe siècle aussi, a perfectionné pour eux les caractères latins en y ajoutant les signes jusqu’alors spéciaux au tchèque.

8. Toute insuffisance d’un système réagit toujours sur les autres systèmes. Ainsi on a laissé s’établir l’orthographe au petit bonheur. Phonétique par essence, l’écriture s’est faite étymologique. D’où ces conséquences. a) On a inventer une orthographe phonétique pour la sténographie et la « sténotype » (machine à sténographier) en fait l’emploi. Au dactylo ou au typo à opérer alors le redressement de l’écriture phonétique en écriture orthographique. b) La transformation de la parole énoncée (le son) en un texte lisible (imprimé) est concevable à l’intermédiaire d’appareils électriques, mais rendue impossible par suite de la non concordance entre le son et l’orthographe. Déjà on a réalisé aux États-Unis cette expérience. Un reportage de match de boxe décrit au téléphone à un

  1. Della Rocca de Vergalo. La réforme générale de l’ortografe. Paris, Lemerre. 5 fr.
  2. Dewey, Melvil, Simpler Spelling : Reazons and Rules (In Decimal classification, edition 12th 1927, p. 49).
  3. Paul Reuner. Gutenberg Jahrbuch 1930, p. 338-343.