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LE LIVRE ET LE DOCUMENT

4. Les formes représentent les diverses structures bibliologiques en lesquelles les matériaux sont ordonnés. Les formes peuvent être considérées en leur état simple, « élémentaire », fondamentales : elles sont alors des parties ou des aspects des ouvrages. Elles peuvent aussi, en se combinant, constituer la forme des ouvrages eux-mêmes en leur totalité et comme telles être définies les « formes des formes ».(Pour l’énumération et le détail des diverses formes, on se référera à la Classification décimale. Tables des subdivisions communes de formes.)

5. La forme du livre n’est pas arbitraire. Elle est largement commandée par des besoins, voire par des buts à atteindre. Mais, comme il arrive presque toujours, ce sont des besoins très limités immédiats qui ont commandé toute cette évolution. Ces besoins on peut les définir ainsi : 1o  enregistrer complètement et facilement ; 2o  faire retrouver aisément le document ; 3o  faire lire rapidement.

La forme du livre est le résultat de l’œuvre collective comme le contenu même. Quand on étudie le livre point par point, élément par élément, forme par forme, on constate l’immense et le séculaire effort qu’il a fallu pour créer ce qui aujourd’hui nous paraît si simple que nous ne saurions guère l’imaginer autrement. Aussi ne pouvons-nous deviner tout ce que l’avenir nous réserve encore dans ce domaine des formes du livre.

6. La forme du livre est distincte de sa substance, les données qu’il contient sont relativement indépendantes. Des données de différentes sources (différents auteurs, différents pays) peuvent être comparables au point de vue de la forme, car elles se rapportent à un même objet, au même temps, et parce qu’elles sont exprimées de la même manière. Malgré cela, ces différentes données peuvent fort bien n’être pas comparables, relativement au fond, certaines étant le fruit d’une observation consciencieuse, d’un raisonnement logique, et d’autres au contraire résultant de la fantaisie et de l’invention de toutes pièces. Ce serait commettre une erreur de les amalgamer, comparer, additionner.

7. Deux problèmes sont à traiter séparément : celui des méthodes et de l’organisation de la recherche scientifique ; celui des méthodes et de l’organisation de l’expression donnée aux résultats de cette recherche (livre, documentation). Ce dernier problème consiste notamment à examiner quelles sont les qualités de forme requises pour que les données scientifiques, après avoir figuré dans des documents particuliers, puissent être réunis dans des livres généraux (Encyclopédie universelle). Ainsi les données peuvent se rapporter les unes à un objet, à un fait, à un phénomène déterminé, les autres à un groupe de faits, d’objets ; les unes étant exprimées en telles unités de mesure, les autres non, etc. Elles peuvent être rédigées de telle sorte que la juxtaposition des textes, leur confrontation, leur addition sont impossibles. En combinant ces différentes données, on commet de nouveau une erreur et même en certain cas la diversité de forme est si apparente, si vivante, qu’il devient absurde de vouloir tenter un rapprochement, grouper le tout en une même colonne, un même tableau.

On voit donc que les exigences de forme et de fond sont différentes et peuvent être étudiées séparément. Les exigences de forme sous un certain aspect sont même plus essentielles que les autres chaque fois qu’il s’agit de coordonner des travaux très étendus comme le sont les travaux internationaux et ceux qui portent simultanément sur les domaines de plusieurs sciences ou branches d’activité.[1]

8. Jusque récemment le livre était synthétique : de vaste ensemble historique descriptif, instructif ou sentimental ou lyrique. Ainsi les épopées, les gros livres religieux. Puis il est devenu analytique, pour tendre à redevenir à la synthèse rationnelle.

9. Deux états d’esprit sont en présence : les uns sont en faveur d’une véritable fixation de l’exposé, dans des grandes lignes tout au moins, et susceptible d’être exprimé en des principes et des normes. Les autres redoutent cette fixation et proclament la liberté.

La Bruyère disait : « Entre toutes les expressions de la pensée, il y en a une qui est la meilleure ». Lors de la lutte des Classiques contre les Romantiques, il s’est trouvé un académicien pour dire que les genres en nombre et en texture étaient déterminés d’une manière immuable. Mais l’immuabilité des formes n’existe pas et leur systématisation à outrance ne va pas sans inconvénient. Les formes d’exposé ont des moments. Quand elles sont créées elles aident puissamment à l’ordre dans les idées ; plus tard elles deviennent tyranniques et compriment souvent la pensée.

Il faut donc proclamer le droit à la libre recherche dans tous sens. (Pareto.)

Le positivisme ayant été préoccupé de liaison et de coordination de faits et de données intellectuelles a constitué un grand embarras au libre mouvement des diverses sciences. (de Ruggiero.)

On possède d’ailleurs des exposés scientifiques qui ne refondent pas systématiquement la science mais qui touchent à toutes ses parties pour les rénover et les conduire dans des voies nouvelles. Ex. : L’œuvre de Poincaré.

Les écrits sont de diverses sortes, comme les pensées : celles qui s’efforcent d’être objectives, impersonnelles (scientifiques) ; et celles qui visent à condamner (plaidoyers) ; ceux qui cherchent à amuser (œuvres littéraires). Que de discours, d’articles de journaux, de brochures de propagande, qui consistent à travestir les choses, en passant sous silence, en exagérant, en mettant à une place inexacte, en inventant, en niant.

  1. Cf. en ce qui concerne la comparabilité statistique, U. Ricci : Les bases théoriques de la statistique agricole. 1914. p. 7.