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ÉLÉMENTS INTELLECTUELS

224.1 Technique de la Composition littéraire. Rhétorique.

1. Notion. — La rhétorique est la théorie de l’éloquence, celle-ci définit l’art de persuader. Elle recherche l’essence de l’éloquence et résout en formules, en préceptes ce qui, dans un beau discours, paraît être l’instinct du génie. Ainsi la rhétorique procède expérimentalement. Elle a été faite d’après les chefs d’œuvre oratoires comme la Poétique d’après les épopées et les tragédies. Elle prend place entre la Grammaire et la Logique et doit se souder naturellement à la Documentation.

La Rhétorique peut être conçue en grande partie comme une science rationnelle en voie de constant développement et perfectionnement. Car les chefs-d’œuvre ou exemples dont elle se déduit sont eux-mêmes issus d’une série d’opérations logiques et naturelles de l’esprit humain. La Rhétorique recherche cette suite d’opérations, l’analyse, se rend compte de leur valeur, la traduit en formule.

Toutes les œuvres de l’esprit s’accomplissent par trois opérations : 1o la recherche des idées (dite aussi invention) ; 2o l’ordre dans lequel elles doivent se produire (dite aussi disposition) ; 3o l’expression (dite aussi l’élocution). Bien que distinctes, ces trois opérations dépendent pourtant étroitement l’une de l’autre.

« En effet, si l’esprit a réuni avec soin tous les éléments qui doivent entrer dans le corps de l’ouvrage, s’il a déterminé par un examen approfondi leur existence relative et leur rapport de génération, ces éléments s’uniront en vertu de leurs affinités réelles et trouveront d’eux-mêmes leur enchaînement naturel ; de plus, par une conséquence rigoureuse, l’intelligence maîtresse des matériaux de l’œuvre qu’elle médite, assurée de l’ordre dans lequel ils doivent se disposer, les produire au dehors avec une expression puissante et colorée qui reflétera ses clartés intérieures et l’animera de sa chaleur. »[1]

2. Historique. — Aristote, dégageant la rhétorique de toutes les subtilités scolastiques, l’a fondée non sur des artifices mais sur des principes universels ; il l’a définie, l’art de parler de manière à convaincre, ou la dialectique des vraisemblances et il lui a donné pour base le raisonnement. Son but est d’enseigner que la langue de l’orateur n’est autre que celle du raisonnement et que le meilleur style est celui qui vous apprend le plus de choses et qui nous les apprend le mieux.

Qu’on se représente ce que fut la rhétorique pour les anciens et pour les humanistes. Presque une science encyclopédique. Il fallait un effort pour distinguer le fond de la forme. (Cicéron, De Oratore I, IV, 17).

Est enim eit scientia comprehendenda rerum plurimarum, sine qua verborum volubilitas inanis atque irridenda est ; ipsa oratio conformanda non solum electione sed etiam constructione verborum ; et omnes animorum motus, quos hominum generia natura tribuit, penitus pernoscendi, quod omnis vis ratio que dicendi in earum qui audiunt mentibus at sedandis ant excitandis exprominenda est.

Un humaniste comme Montanus, par exemple, doit préciser que la rhétorique n’est qu’une adéquation et un ordonnancement des moyens aux fins qui permet d’obtenir des formes expressives amples, tout en exigeant « un solide bagage idéal, émotionnel et volitif, doit reconnaître la distance qui sépare les disciplines scientifiques de l’art de la parole ».

3. Traités. Les traités de rhétorique sont nombreux. Ceux des grecs, dont le principal est celui d’Aristote, ceux des latins anciens dont celui de Cicéron, ceux de la Renaissance dont celui d’Érasme, ceux du XIXe siècle dont les traités de V. Leclerq, Gérusez, D. Ordinaire, Édouard Laboulaye.[2]

Le professeur des lettres part d’un texte qui est une réalité complexe, et le fait analyser aux points de vue grammatical, logique, intellectuel, esthétique ; il fait trouver par les élèves des lois ou règles correspondant à ses diverses particularités ; il en fait faire des applications variées.[3]

De la méthode littéraire : journal d’un professeur dans une classe de première (746 p. couronné par l’Académie, 6e édition). Ce livre n’est ni un manuel ni un recueil. C’est une sorte de cinématographe où le lecteur peut voir et entendre travailler ensemble le professeur et ses élèves : préparation des devoirs, correction, explication, commentaires. C’est l’art de travailler, la méthode, le savoir faire.

4. Rhétorique ancienne et technique moderne de la composition littéraire. — La rhétorique, telle que l’enseignaient les anciens, comprenait les éléments les plus variés, elle déterminait à la fois les lois de la composition et les lois du style ; elle confinait à la logique par l’étude de la dialectique et du raisonnement, à la mimique par celle du geste et de la diction, mais en général tout cela n’était que pure forme. Elle enseignait la meilleure manière d’habiller les idées sans fournir une idée, en donnant au contraire le moyen de suppléer par toutes sortes d’artifices au manque d’idée. Elle pouvait faire fleurir une éloquence toute en surface, mettre de l’ordre et de la méthode dans des riens, exposer intarissablement des choses qui ne valent pas la peine d’être dites.

Exorde, exposition, prévision, preuves, réfutation, récapitulation, péroraison, c’était toute la rhétorique et l’on

  1. Géruzet. — Cours de littérature conforme au plan des études rhétoriques (1852).
  2. Marmontel : Éléments de littérature. — Laharpe : Cours de littérature. — Batteux : Principes de littérature. — Blair : Leçons de rhétorique. — Baldensperger : La littérature. Création, Science, Durée. — Broeckaert (R. P.) : Le guide du jeune littérateur.
  3. My class in Composition, de Bézard, adopté par Phillis Robbins.