Page:Ourliac - Nouvelles.djvu/121

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dormais pas et me tâta le pouls ; j’avais un peu de fièvre. Il me questionna avec un certain embarras ; je répondis si nettement, qu’il me parut de plus en plus étonné.

— Tu es donc en état de m’entendre, me dit-il, je vais remplir mon devoir d’ami. Je ne t’interroge pas sur le malheur qui est arrivé ; ce qui est certain, c’est que ton silence et ton calme ont surpris les gens au point de mener loin les conjectures. Il faut t’épargner jusqu’à l’ombre d’un scandale, nous n’avons pas de temps à perdre ; je t’ai fait préparer des chevaux, tu vas partir ; nous verrons ensuite.

— Je ne répondis rien, et je me levai. Marcellin pâlit ; il m’aida promptement à m’habiller, et me donna le bras sans mot dire jusque dans une arrière cour où je trouvai les chevaux.

— Tu prendras la poste, me dit-il, et il me serra la main en pleurant. Je partis… À présent, mon fils, je devrais vous dire par quelle épouvantable pénitence j’ai expié ce crime affreux… Imaginez cinquante ans de remords, de larmes, et d’insomnie… J’allai trouver ce prêtre dont je vous ai parlé, il m’ouvrit les bras de la religion ; mais je ne pus obtenir d’entrer dans aucun couvent. Il fallut prier un évêque de la Savoie de me dispenser des principaux devoirs du chrétien et de la fréquentation des sacrements qui m’étaient si nécessaires ; on considéra que je ne serais point inutile à mes frères dans les passages dangereux de ces montagnes, où je secourrais les voyageurs. J’avais choisi une solitude périlleuse qui est de l’autre côté de ces monts. Quand mes forces se sont affaiblies, je suis venu m’établir ici. Il y a cinquante ans à