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Page:Ourliac - Nouvelles.djvu/155

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cendies. Nous ne songions guère à dormir, je vous jure, au milieu de ce bivouac ; des locataires de la maison, qui ne s’étaient jamais vus, couraient les uns chez les autres, pour se réconforter ; on s’était réuni notamment chez de bonnes dames fort peureuses, qu’on ne pouvait parvenir à tranquilliser et qui tremblaient au moindre bruit rapproché ; or, ces bruits, fort imposants, il est vrai, étaient tantôt le qui vive d’une sentinelle, et tantôt une forte patrouille qui s’arrêtait près de là, et dont les crosses de fusil retentissaient sur le pavé. Jugez de l’effroi quand on entendit un coup frappé à la porte cochère. On fit l’émunération des locataires et quelqu’un assura qu’ils étaient rentrés ; nous voilà tous à trembler. Un bruit de voix succède dans l’escalier, enfin la cuisinière paraît, et derrière elle, un homme en désordre, pâle, sans souffle, son chapeau à la main ; c’était Thibault ; mon père court à lui et l’interroge ; impossible de lui tirer une parole ; on le fait descendre, on s’excuse, et une fois rendus chez nous, tandis qu’on apporte des flacons, de l’eau sucrée :

— Enfin, lui dit mon père, que t’est-il arrivé ? Parle.

Thibault regarde mon père, s’essuie le front avec son mouchoir, ouvre la bouche, et la parole lui manque. Il ne pousse qu’un soupir.

Il prend un verre d’eau qu’on lui offre, en boit une gorgée et s’arrête :

— Mon cher ami, permets-moi… la nature l’emporte… le physique a trahi le moral.

Il achève son verre d’eau.

— Merci ! Je vous prie d’agréer à la fois mes excuses et