tenait sans doute que le reste des mêmes provisions. Leurs adieux furent touchants, car mon père gardait une sincère et compatissante affection à cet homme.
Dans l’attente du départ et tandis que les gens des messageries vaquaient à grand bruit aux derniers préparatifs, Thibault, communiquant à mon père ses dernières réflexions sur le séjour qu’il avait fait à Paris, murmura ces paroles :
— Quand on pense, mon cher ami, que ces gens-là n’ont pas reculé devant un bouleversement… tant il est vrai que les intrigants et les indignes parvenus, plutôt que de se voir démasqués, ne ménagent rien sur la terre… et plongent les rois et les peuples dans la désolation avant que de…
— Monsieur Thibault ! cria l’employé qui faisait l’appel des voyageurs.
— Présent ! dit Thibault de sa belle voix grave ; adieu, mon ami, adieu.
Il se jeta dans les bras de mon père, et monta dans la voiture avec le geste d’un héros tragique marchant à la mort.
Mon père, au retour, nous conta ce départ, et tout fut fini. J’ai déjà dit, il me semble, ce que c’est que Paris pour les amis qui s’en vont à deux cents lieues. Nous ne parlions plus de Thibault, si ce n’est quelquefois après le repas, le sourire aux lèvres, en nous rappelant quelqu’une de ses paroles ou de ses singularités ; quand il y a deux mois (ceci se passait en 1839), mon père reçut une lettre sur gros papier, d’un pli suranné, le dessus mis en gros caractères ; quelque voyageur l’avait jetée à la poste de