Page:Ourliac - Nouvelles.djvu/294

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crois, dont je vous parlais. Figurez-vous donc, mes bons seigneurs, que j’avais ici le plus bel enfant, blond comme l’or, les yeux bleus, de l’esprit comme un ange, et qui étonnait pour son âge. Il s’est assis sur ce banc : il a touché à tous ces livres qu’il fourrageait sans cesse et qu’il savait couramment, certes bien mieux que moi. Ses parents étaient morts ou n’en valaient pas mieux pour lui, si bien qu’on me le donna tout entier et que ce fut mon véritable enfant à moi, mon enfant gâté.

Je ne vous ai pas dit son nom : il s’appelait Jacques. Une chose singulière, encore, c’est qu’il avait les pieds et les mains délicats, et qu’il ne s’était pas endurci comme les autres enfants du village, bien qu’il fût né comme eux à la campagne, de parents pauvres qui travaillaient à la terre. J’ai toujours considéré cela comme une marque des desseins de la Providence. Il était visible aussi qu’il était d’un entendement au-dessus de ses pareils. Il dévorait tous les livres qui lui tombaient sous la main, et je ne sais pas non plus d’où pouvait lui venir ce goût extraordinaire. Le croiriez-vous, Messieurs ? Je le surpris un jour qui rimaillait des vers à l’aide d’une vieille prosodie qu’il avait étudiée. Véritablement je ne les trouvai pas mal pour un bambin de cet âge ; néanmoins, je ne suis pas connaisseur, et je me méfiais de ma faiblesse pour cet enfant chéri. Je lui défendis de perdre son temps à des travaux qui veulent de si grands talents ; mais, à ma fête, et dans toutes les occasions, c’étaient de nouvelles poésies où il m’expliquait ses sentiments en son petit langage ; il n’y avait pas moyen de se fâcher.

Il y avait en ce temps-là, tous les ans à Rouen, à Caen