Page:Ovide - Œuvres complètes, Nisard, 1850.djvu/438

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Ah ! pourvu qu’éveillée je ne m’emporte pas à de pareils égarements ! puisse le sommeil me ramener souvent en songe une semblable image ! Un songe est sans témoin, mais il n’est pas sans une ombre de volupté. Ô Vénus ! ô Cupidon ! volage compagnon d’une mère si tendre ! quels plaisirs j’ai goûtés ! quels transports ont ravi mon âme ! et quelle douce langueur a pénétré jusque dans la moelle de mes os ! Ô souvenir enivrant ! Mais comme ils ont été rapides ces instants de volupté ! Comme elle a fui promptement cette nuit jalouse de mon bonheur ! Oh ! s’il m’était permis de changer de nom et de m’unir à toi ! Que je serais heureuse, ô Caunus, de devenir la bru de ton père ! que je serais heureuse de te voir le gendre du mien ! Plût aux dieux que tout fût commun entre nous, excepté nos aïeux ; je voudrais que ta naissance fût plus illustre que la mienne ; je ne sais quelle femme tu rendras mère, ô le plus beau des mortels ! mais pour moi, qu’un sort funeste a fait naître des mêmes parents, tu ne seras jamais qu’un frère ; nous n’aurons de commun que l’obstacle qui nous sépare. Que me présagent donc ces visions ? Quelle confiance dois-je accorder à des songes ? Les songes ont-ils quelque valeur ? Les dieux sont plus heureux, les dieux sont devenus souvent les époux de leur sœur : Saturne donna sa main à Opis, qui lui était unie par le sang ; l’Océan prit Thétis pour épouse, et le roi de l’Olympe Junon. Mais les dieux ont leurs privilèges ; et pourquoi régler les lois humaines sur celles des cieux, et comparer des alliances si contraires ? Ou je bannirai de mon cœur cette ardeur criminelle, ou, si je ne puis la vaincre, je mourrai avant d’être coupable ; puissé-je alors reposer inanimée sur le lit funèbre, et recevoir les baisers de mon frère ! Après tout, cette union exigerait le consentement de tous deux ; et, quand elle m’est si chère, elle peut lui paraître un crime. Cependant les fils d’Éole n’ont pas craint de partager la couche de leurs sœurs. Mais d’où vient que leur histoire m’est connue ? pourquoi citer leur exemple ? où me laissé-je emporter ? Loin de moi, flammes impures ! je ne veux conserver pour mon frère que la tendresse légitime d’une sœur. Si pourtant le premier il eût brûlé pour moi, peut-être aurais-je été sensible à son amour ; la grâce que j’aurais accordée à ses prières, j’irai donc la solliciter moi-même ? Quoi ! pourras-tu parler ? pourras-tu faire cet aveu ? Oui, l’amour m’y contraint ; je parlerai ; ou, si la honte enchaîne ma langue, une lettre mystérieuse lui dévoilera ma flamme secrète. » Elle s’arrête à cette pensée, qui triomphe de son incertitude. Elle se relève sur son lit ; et, s’appuyant sur son bras gauche : « Il le verra lui-même, dit-elle ; apprenons-lui mon amour insensé. Hélas ! où m’égare mon délire ? Quelles ardeurs s’allument dans mon âme ! » et, d’une main tremblante, elle trace des mots qu’elle a médités longtemps. Sa main droite tient un stylet, et sa gauche la cire, qui n’a