Page:Ovide - Œuvres complètes, Nisard, 1850.djvu/482

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Le trait ne s’est pas écarté du but, et cependant c’est en vain qu’il a frappé : le coup s’est amorti sur la poitrine du guerrier. Achille s’étonne, mais Cycnus : « Fils d’une déesse, dit-il, car la renommée m’a appris ton nom, ne t’étonne pas de me voir sans blessure : ce casque que tu vois au panache ondoyant, ce bouclier que porte mon bras gauche, ne servent point à me défendre ; c’est l’ornement d’un guerrier. Mars lui-même se pare d’une armure. Je puis dépouiller ces armes, et tes coups n’en seront pas moins inutiles. Voilà ce que me vaut d’être né, non pas d’une néréide, mais du dieu qui commande à Nérée et à ses filles, et à l’océan tout entier. » Il dit, et lance son javelot contre Achille : le trait frappe le bouclier recourbé, traverse l’airain, neuf des cuirs qui le composent, et ne s’arrête qu’au dixième. Achille l’arrache, et, d’un effort vigoureux, le lance de nouveau : le corps de Cycnus est toujours sans blessure. Le fils de Neptune se découvre et se présente aux coups sans défense : lancé une troisième fois, le javelot d’Achille ne peut percer l’ennemi qu’il atteint encore. Achille est devenu furieux : tel, dans l’arène, un taureau qui, de sa corne terrible, frappe les lambeaux de pourpre qu’on lui présente et s’irrite de frapper en vain. Le héros regarde si son javelot est encore armé du fer ; le fer tient au javelot : « Quoi donc ! s’écrie-t-il, mon bras est-il affaibli ? Ai-je épuisé sur un seul guerrier mes forces d’autrefois ? Étais-je donc un ennemi méprisable, quand j’ai renversé les murs de Lyrnesse(3), quand j’ai pris Ténédos, rempli du sang de ses habitants la ville d’Éétion, rougi les eaux du Caycus ; quand Télèphe(4) a deux fois senti la vertu de ma lance ? Ici même, tous ces guerriers que j’ai renversés dans la poussière, ils sont sous mes yeux. Tout à l’heure mon bras était puissant ; que dis-je ? il l’est encore. » Et comme s’il se défiait encore de sa force et de ses exploits récents, le fils de Pélée lance son javelot contre le lycien Ménætès : l’arme terrible a brisé tout ensemble, et la cuirasse et la poitrine du guerrier, qui va, mourant, frapper la terre. Achille retire sa lance de la plaie encore fumante, et s’écrie : « Oui, c’est bien là le trait, c’est bien le bras qui tout à l’heure me donnaient la victoire : frappons-en donc ce Cycnus, et fassent les dieux que ce soit avec un égal succès ! » Il dit et frappe. Le javelot n’a pas manqué son but, et retentit sur l’épaule gauche de Cycnus ; mais il rebondit, repoussé comme par un mur ou un rocher. Cependant Achille aperçoit du sang à la place où sa lance a frappé : il s’en réjouit déjà, mais en vain ; Cycnus est sans blessure, et ce sang est celui de Ménætès.

Frémissant de colère, le fils de Pélée saute à bas de son char, attaque de près son ennemi, qui