Page:Ovide - Œuvres complètes, Nisard, 1850.djvu/83

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infortunée que je suis ! lorsque tu peux ramener près de moi tes pas fugitifs ? Tu peux, pour me guérir, plus que les ondes de Leucade ; par ta beauté, par ce bienfait, tu seras pour moi Phébus. Veux-tu, plus cruel que tes rochers et que les ondes, veux-tu, si je meurs, t’enorgueillir de mon trépas ! Que mon cœur, hélas ! n’est-il uni au tien, plutôt que d’être précipité du haut des rochers ? C’est ce cœur, ô Phaon ! que tu avais coutume de vanter, et dont l’esprit te charma tant de fois. Je voudrais maintenant être éloquente : la douleur est un obstacle à l’art, et mes malheurs compriment tout mon génie : mes forces d’autrefois ne me soutiennent plus dans mes poétiques chants ; la douleur impose silence à mon luth, la douleur rend muette ma lyre.

Femmes de la maritime Lesbos, soit vierges, soit épouses, femmes de Lesbos, dont la lyre éolienne a célébré les noms[1], femmes de Lesbos, dont l’amour a fait mon déshonneur, cessez de venir en foule à mes chants : Phaon m’a ravi tout ce qui vous charmait naguère… Malheureuse ! j’allais presque l’appeler mon amant ! Faites qu’il revienne ; avec lui reviendra aussi votre poète : c’est lui qui donne, c’est lui qui retire les forces à mon esprit.

Mais pourquoi ces prières ? Son cœur sauvage en peut-il être ému ? N’est-il pas insensible, et les zéphyrs n’emportent-ils pas mes inutiles paroles ? Ainsi qu’ils les emportent, je voudrais qu’ils ramenassent tes voiles : si tu savais aimer, voilà, tardif amant, ce qu’il te fallait faire. Mais si tu reviens, si l’on prépare pour ton vaisseau les offrandes votives, pourquoi, par des délais, déchirer mon cœur ? Quitte le rivage : Vénus, fille de la mer, ouvre la mer aux amants ; les vents favoriseront ta course : seulement, quitte le rivage. Cupidon, assis à la poupe, tiendra lui-même le gouvernail ; lui-même, de sa main délicate, saura donner ou retirer les voiles. Mais si tu te plais à fuir au loin la Pélagienne Sapho (et tu ne saurais trouver de justes motifs pour t’éloigner de moi), qu’au moins une lettre cruelle le dise à une infortunée, afin que j’éprouve le fatal effet des ondes de Leucade.


PÂRIS à HÉLÈNE

Le fils de Priam t’envoie, fille de Léda, un salut qu’il attend de toi, que tu peux seule lui donner. Dois-je parler ou bien ma flamme, qui est connue, a-t-elle encore besoin de se déclarer, et mon amour s’est-il déjà manifesté plus que je ne voudrais ? J’aimerais mieux qu’il restât caché, jusqu’à ce qu’il me soit accordé des jours de bonheur, sans mélange de crainte.

  1. Sapho avait écrit dans le dialecte éolien.