Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/132

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es mon ami, profite du moment où toute ma fureur m’a quitté. C’est la fureur qui m’a fait lever sur ma maîtresse un bras téméraire ; elle pleure maintenant, celle que j’ai blessée dans mon délire. Mes mains auraient alors frappé les auteurs chéris de mes jours, et ma colère sacrilège n’eût pas respecté les dieux immortels. Mais quoi ! Ajax, armé d’un bouclier impénétrable, n’égorgea-t-il pas des troupeaux au milieu des campagnes ? Le malheureux Oreste, qui ne put venger son père que dans le sang de sa mère, n’osa-t-il pas s’armer contre les déesses infernales ? J’ai donc pu, moi aussi, porter le désordre dans sa chevelure ? Ce désordre a-t-il rien ôté aux charmes de ma maîtresse ? Elle n’en fut que plus belle. Telle la fille de Schénée, l’arc à la main, poursuivait, dit-on, les bêtes féroces du Ménale[1] ; telle la fille du roi de Crète, versant des larmes quand les vents rapides emportèrent à la fois et les serments et les voiles du parjure Thésée ; telle encore, sans les bandelettes qui ceignaient sa tête, telle Cassandre gisait, chaste Minerve, sur le pavé de ton temple.

Qui ne m’eût traité d’insensé, qui ne m’eût traité de barbare ? Eh bien ! elle ne me dit rien : saisie d’effroi, elle avait perdu la voix ; mais sur son visage muet, je n’en lisais pas moins des reproches ; son silence et ses larmes m’accusaient à la fois. Que n’ai-je plutôt vu mes bras se détacher de mes épaules ? Mieux eût valu pour moi perdre une partie de moi-mène. C’est contre moi qu’ont tourné mes forces et mon délire, et je suis le premier puni de ma vigueur. Ministres d’une volonté sanguinaire et criminelle, qu’ai-je encore besoin de vous ? Mains sacrilèges, supportez les fers que vous méritez. Quoi ! si j’avais frappé le dernier des Romains, j’en porterais la peine ? Ai-je donc plus de droits contre ma maîtresse ? Le fils de Tydée nous a laissé un triste monument de ses forfaits ; le premier il porta les mains sur une déesse. Je suis le second ; mais il fut moins coupable : moi, j’ai frappé celle que je disais aimer ; lui, il ne fut cruel qu’envers une ennemie.

Va, maintenant, puissant vainqueur, préparer la solennité de ton triomphe ; couronne-toi de lauriers ; rends des actions de grâces à Jupiter ; que la foule nombreuse qui escortera ton char répète à haute voix : "Gloire à ce héros superbe qui a vaincu une faible fille ! " Que devant toi marche ta triste victime, les cheveux épars, et, blanche de la tête aux pieds, n’étaient ses joues meurtries.

Mieux eût valu laisser sur sa bouche l’empreinte de mes lèvres, et sur son cou les traces d’une dent caressante ; enfin, si j’étais déchaîné comme un torrent furieux, si j’étais sous l’empire d’une fureur aveugle, n’était-ce pas assez d’effrayer par mes cris une timide beauté ? N’était-ce pas trop de faire entendre d’affreuses menaces, ou d’arracher honteusement sa tunique jusqu’à la ceinture ? Là se fut arrêtée mon audace.

  1. Les poètes reconnaissent deux Atalantes, l’une fille de Jason, et célèbre chasseresse de l’Arcadie ; lautre, fille de Scbénéus de Béotie. On voit qu’Ovide prend ici l’une pour l’autre.