Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/155

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n’auras sur ta route ni ville ni forêts à admirer ; la vue d’une mer bleuâtre et perfide, voilà le spectacle qui t’est réservé.

Ce n’est point au milieu de l’Océan qu’on trouve les légers coquillages et les cailloux aux mille nuances ; on ne les voit que dans les eaux transparentes du rivage : c’est le rivage seul que doivent fouler les pieds délicats de la beauté ; là seulement elle est en sûreté ; plus loin commence une route inconnue. Que d’autres vous racontent la lutte des vents, quelles mers sont infestées par Charybde et par Scylla, quelles roches dominent les monts Cérauniens aux sanglants souvenirs, dans quels lieux sont cachés les Syrtes ou Malée. Que d’autres vous en instruisent ; quels que soient leurs récits, croyez-les : croire au récit d’une tempête, ce n’est pas l’essuyer.

On est bien longtemps sans revoir la terre, quand, une fois détache du rivage, le vaisseau vogue à pleines voiles sur l’immensité de la mer. Le navigateur inquiet redoute les vents conjurés, et voit la mort d’aussi près que les flots. Que deviendras-tu si Triton soulève les ondes agitées ? Comme tout ton visage alors sera décoloré ! Invoquant les fils généreux de la féconde Léda[1], tu t’écrieras : "Heureuse celle que retient sa terre natale ! " Il y a plus de sûreté dans une couche moelleuse ; mieux vaut lire quelques livres nouveaux, ou faire résonner sous ses doigts une lyre de Thrace.

Mais si le souffle des tempêtes doit emporter mes plaintes stériles, que du moins Galathée veille sur ton vaisseau ! La mort d’une telle beauté serait un crime pour vous, déesses de la mer, et pour toi, père des Néréides ! Pars, ô mon amie ! en pensant à moi ; pars pour revenir au premier vent favorable, et que son haleine plus puissante enfle alors tes voiles. Qu’alors le grand Nérée incline la mer sur ce rivage, que les vents soufflent du côté de Rome, que par ici le flux précipite les eaux ; prie toi-même les Zéphyrs d’enfler tes voiles de tout leur souffle, et que ta main les présente à leur puissante haleine.

Le premier je découvrirai du rivage ton navire chéri, et je dirai : "Voici le navire qui ramène mes dieux ! " Bientôt, te recevant dans mes bras, je te ravirai mille baisers précipités : pour fêter ton retour, tombera la victime dévouée ; j’étendrai, en forme de lit, le sable mouvant du rivage ; le premier tertre nous servira de table. Là, dans le doux bruit des coupes, tu commenceras tes longs récits ; tu me peindras ton navire à demi englouti dans les flots ; tu me diras qu’en revenant vers moi, tu ne craignais ni la perfide fraîcheur de la nuit, ni les vents déchaînés. La fiction même deviendra pour moi la vérité. Je croirai tout ; et pourquoi ne croirais-je pas avec complaisance ce qui est l’objet de tous mes vœux ? Puisse l’étoile du matin, brillant d’un vif éclat dans l’immensité du ciel, m’amener au plus tôt, dans sa course rapide, ce jour fortuné !

  1. Castor et Pollux, invoqués par les marins en danger.