Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/179

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La déesse de Crète avait aperçu, au pied du mont Ida, Jasius, dont la main sûre perçait les bêtes fauves ; elle le vit, et soudain une tendre flamme s’alluma dans ses veines. D’un côté la pudeur, et de l’autre l’amour se disputaient son cœur ; la pudeur dut céder à l’amour. Alors vous eussiez vu les sillons se dessécher, et la terre ne donner qu’à peine autant de grains qu’on lui en avait confié. Les hoyaux retournèrent sans relâche le sol des champs ; le soc de la charrue déchira le sein endurci de la terre ; les larges sillons reçurent la semence accoutumée, et le cultivateur confiant vit tous ses vœux déçus.

La puissante déesse des moissons errait dans l’épaisseur des bois ; de sa longue chevelure étaient tombées ses couronnes d’épis ; la Crète seule eut une année fertile et d’abondantes récoltes. Tous les lieux par où la déesse avait passé étaient couverts de moissons : l’Ida lui-même voyait ses bois se remplir d’épis, et le sanglier féroce se repaissait de blé dans ses forêts. Le législateur Minos souhaita à sa patrie bien des années pareilles, et à Cérès un amour éternel.

Le triste veuvage que tu aurais pu avoir à déplorer, blonde déesse, il faut que je l’endure dans ce jour consacré à tes mystères. Pourquoi dois-je m’attrister, quand tu as retrouvé une fille, une reine, qui ne voit au-dessus d’elle que la seule Junon, que le sort y a placée ? Les jours de fête invitent à l’amour, aux chants et aux festins ; voilà les hommages qu’il convient d’offrir aux dieux immortels.


ÉLÉGIE XI.

C’est avoir assez et trop longtemps souffert : ta perfidie a vaincu ma patience ; sors, honteux Amour, de mon cœur fatigué ! C’en est fait, je m’affranchis ; j’ai rompu mes chaînes, j’ai souffert sans rougir, je rougis maintenant d’avoir souffert ; enfin, je triomphe, et je foule à mes pieds l’Amour subjugué ! Trop tard, hélas ! j’ai connu l’outrage fait à mon front. De la persévérance et de l’énergie ; ces maux auront un jour leur récompense. Souvent un fruit amer offre son suc secourable au voyageur épuisé.

Quoi ! après tant de refus, j’ai pu, moi homme libre, coucher sur la dure à ta porte ! quoi ! j’ai pu, quand tu pressais je ne sais quel amant dans tes bras, j’ai pu, comme un esclave, me faire le gardien d’une porte qui m’était fermée. Je l’ai vu, cet amant, sortir de chez toi fatigué, et d’un pas traînant, comme celui d’un vétéran usé par le service ; mais j’en ai encore moins souffert que d’en être vu moi-même. Puisse une pareille honte être réservée à mes ennemis !

Quand t’es-tu promenée sans me voir enchaîné à tes pas, moi ton gardien, moi ton amant, moi ton compagnon assidu ? C’est ainsi que tu me dus de plaire à un peuple d’amants, et notre