Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/251

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soleil. Mais le Tibre, comme de coutume, poursuivra son cours vers la mer, et le char de la lune, traîné par ses chevaux blancs, suivra sa carrière habituelle. Non, ce n'est point par des sortilèges que je chasserai de votre coeur les soucis qui le rongent. Pour mettre l'Amour en fuite, l'odeur du soufre embrasé est impuissant[1].

Princesse de Colchos, à quoi t'ont servi les plantes du Phase, quand tu voulais rester dans le palais de tes pères[2] ? Et toi, Circé, quels secours as-tu tiré de celles dont Persée t'enseigna l'usage, lorsque les vaisseaux d'Ulysse[3], poussés par un vent favorable, voguaient vers Ithaque ? Tu as mis tout en oeuvre pour empêcher le départ de ton hôte astucieux ; et pourtant, il n'en poursuivit pas moins, à pleines voiles, une fuite assurée. Tu as mis tout en oeuvre pour éteindre le feu qui te dévorait ; mais dans cette âme, qui voulait le bannir, l'Amour régna longtemps encore. Toi, qui pourrais faire subir à l’homme mille métamorphoses, tu n'as pu changer les lois du coeur. On dit qu'au moment où Ulysse allait partir[4], tu voulus l'arrêter encore quelque temps par ces paroles : "Je ne te demande plus aujourd'hui que tu sois mon époux, douce espérance qu'autrefois, s'il m'en souvient, je me plaisais à nourrir. Déesse, et fille du puissant dieu du jour, j'aurais pu ne pas me croire indigne de cet hyménée. Diffère ton départ, je t'en supplie ! Accorde-moi quelques jours ; c'est la seule grâce que j'implore. Puis-je, hélas ! te demander moins ! Vois comme la mer est agitée ; ne crains-tu pas sa colère ? Plus tard les vents te seront plus favorables. Mais pourquoi fuir enfin ? Troie ne renaît point de ses cendres : un nouveau Rhésus[5] n'appelle point au combat ses valeureux compagnons : ici règnent l'Amour et la Paix (seule je n'en jouis pas, et ma blessure en est la cause) ; cette île entière reconnaîtra ton empire." Elle parlait encore, lorsqu'Ulysse leva l'ancre, et les vents emportèrent à la fois son vaisseau et les plaintes inutiles de la déesse. Furieuse, Circé a recours à ses artifices ordinaires ; mais ils ne peuvent rien contre la violence de son amour. Vous donc qui réclamez les secours de mon art, n'ayez aucune confiance dans les enchantements et les sortilèges. Si quelque puissant motif vous force de rester à Rome, apprenez de moi la conduite que vous devez y tenir. Honneur à celui qui revendique sa liberté, brise ses fers, et qui le même jour perd jusqu'au sentiment de son esclavage ! S'il est quelqu'un doué d'un tel courage, je serai le premier à l'admirer, et je dirai : "Il peut se passer de mes conseils." Mais vous, qui êtes moins habiles à vous détacher d'un objet aimé, qui voulez être libres et n'en avez pas le pouvoir, c'est vous que je dois instruire. Rappelez-vous souvent les perfidies de votre maîtresse, et ayez toujours devant les yeux toutes les pertes qu'elle vous a fait éprouver. Dites-vous : "Elle m'a pris telle ou telle

  1. Vivo sulfure victus amor - Allusion aux cérémonies religieuses dans lesquelles, pour purifier les amants, on employait une torche enflammée, du soufre et des oeufs.
  2. Phasiacae... terrae. Colchos, patrie de Médée, où coulait le Phase. Le poète apostrophe Médée, en lui appliquant le nom de son pays, Colchide.
  3. Neritias. Épithète donnée au vaisseau d'Ulysse, de Nérite, montagne de l'île d'Ithaque.
  4. Dulichium. Surnom d'Ulysse, de Dulichium, l'une des îles Echniades dont Ulysse était roi.
  5. Rhaesus. Roi de Thrace, tué par Ulysse et par Diomède, tandis qu'il venait au secours de Troie.