Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/594

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

sacrifice; mais les sots, qui ne sauraient y lire, ignorant ainsi à quelle curie ils appartiennent, laissent passer la véritable fête, et ne la célèbrent qu'en ce jour, dernier délai qui leur est accordé.

Il y a aussi des honneurs pour les tombeaux. Apaisons les mânes de nos pères, et portons quelques dons sur leurs bûchers refroidis. [2, 535] Les mânes se contentent de peu; ils estiment la piété toute seule à l'égal des plus riches présents; il n'y a point d'avidité cupide chez les divinités du Styx. C'est assez que la tuile sépulcrale soit cachée sous les couronnes, et qu'on y ait ajouté un peu de blé, quelques grains de sel, un pain amolli dans du vin pur, quelques brins de violettes épars, [2, 540] tout cela dans un vase abandonné au milieu des chemins. Mettez, si vous le voulez, plus de pompe dans vos hommages; mais ceux-là suffisent aux mânes. Prononcez encore les prières et les paroles consacrées devant les brasiers de leurs autels. O bon roi Latinus! ce fut le modèle des hommes pieux, ce fut Énée qui introduisit ces usages dans ton empire: [2, 545] le peuple, en le voyant offrir des dons solennels au génie de son père, adopta cette religion du souvenir.

À une époque de guerres longues et sanglantes, il arriva que les jours consacrés aux mânes des ancêtres ne furent point célébrés. La vengeance fut prompte, et, après cet oubli sacrilège, [2, 550] tant de bûchers s'allumèrent dans les faubourgs, que la ville même en sentait les ardeurs. On dit, prodige incroyable, que les mânes des ancêtres sortirent de leurs tombeaux, et firent entendre de lamentables plaintes dans le silence de la nuit; on dit que la troupe lugubre de ces insaisissables fantômes effraya de ses hurlements les rues de Rome et les campagnes du Latium. [2, 555] On rendit enfin aux ombres et aux sépultures les honneurs qu'elles réclamaient; les prodiges disparurent, et la mort cessa de sévir.

Jeunes veuves, ne formez pas de nouvelles unions pendant ces solennités; attendez des jours purs pour allumer la torche de pin. Et toi, qui paraissais déjà nubile à ta mère impatiente, jeune fille, [2, 560] ne permets pas à la lance recourbée de partager alors ta chevelure virginale. Cache tes flambeaux, dieu d'hymen; éloigne-les de ces flammes sinistres; ce ne sont pas de telles clartés qui doivent luire autour des sépulcres attristés; que les dieux eux-mêmes se retirent au fond de leurs sanctuaires; que l'encens cesse de fumer dans les temples, et le feu de briller sur les autels.

[2, 565] C'est alors que les ombres légères de ceux que la tombe renfermait vont errant çà et là; c'est alors qu'elles viennent se repaître des mets qu'on a déposés pour elles; ces fêtes pourtant ne doivent pas dépasser le nombre de jours qui restent au mois pour finir, nombre égal aux pieds de mes vers; et le jour où elles se terminent est appelé jour des Feralia, [2, 570] parce que c'est celui où l'on offre aux mânes les présents qui doivent les apaiser.

Voici qu'une vieille chargée d'ans, assise au milieu des jeunes filles, sacrifie à la déesse du