Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/600

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sont éteintes dans le palais; il se lève et tire du fourreau son épée enrichie d'or; il pénètre, ô chaste épouse, jusque dans le sanctuaire conjugal, [2, 795] et, pressant déjà le lit: "Lucrèce, dit-il, j'ai le fer à la main; c'est le fils du roi, c'est Tarquin qui te parle." Lucrèce ne répond rien; elle n'a plus de voix, elle n'a plus de force, elle est anéantie; elle tremble comme la brebis [2, 800] renversée sous la griffe du loup qui l'a surprise dans la bergerie abandonnée. Que faire? résister? femme, elle succombera dans la lutte; crier? mais le fer est là, prêt à lui donner la mort; fuir? mais elle sent peser sur son sein une main étrangère, une main qui la profane pour la première fois. [2, 805] L'amant farouche emploie tour à tour, pour fléchir Lucrèce, les prières et les menaces; il offre de l'or: les prières, les menaces et l'or la trouvent également inflexible. "Tu t'abuses, lui dit-il enfin; si je ne puis te forcer au crime, je pourrai te tuer du moins; et puis, celui qui aura vainement tenté l'adultère t'accusera lui-même d'adultère. J'égorgerai un esclave, et je dirai que je t'avais surprise avec lui." [2, 810] La crainte d'être déshonorée à jamais l'emporte: la jeune épouse ne résiste plus.

Mais ne te réjouis pas, ô Sextus, de ton odieuse victoire; c'est cette victoire même qui te perdra: cette seule nuit coûtera cher à la royauté des Tarquins. Le jour vient; Lucrèce est assise, les cheveux épars comme une mère qui va se rendre aux funérailles de son fils. [2, 815] Elle fait venir du camp son vieux père, son époux fidèle; ils arrivent aussitôt. À l'aspect de son trouble, ils lui demandent quelle est la cause d'une si grande douleur, à qui elle va rendre les derniers devoirs, et quel coup du sort l'a frappée?... Longtemps elle garde le silence, voilant son visage pour cacher sa rougeur; [2, 820] des pleurs coulent de ses yeux comme d'une source intarissable; son père, son époux les essuient à l'envi, la consolent, la supplient de parler; et, saisis d'une vague terreur, ils pleurent avec elle. Trois fois elle veut commencer, trois fois elle s'arrête; enfin, abaissant ses regards vers la terre, elle fait un nouvel effort. [2, 825] "Il faut donc, dit-elle, que je révèle moi-même ma honte! c'est un dernier outrage de Tarquin." Elle commence alors; mais, arrivée à l'instant fatal, elle ne peut continuer le récit, et ses larmes l'achèvent, les larmes et la confusion de la pudeur outragée. "Tu n'as point failli! s'écrient le père et l'époux; tu as cédé à la violence." - [2, 830] "Vous me pardonnez, dit-elle; et moi, je ne me pardonne pas!" et aussitôt elle se plonge dans le coeur un fer qu'elle tenait caché; elle tombe à leurs pieds, sanglante! Au moment où elle meurt, elle prend garde encore de tomber avec décence, et ce soin se trahit dans sa chute même.

[2, 835] Son père, son époux se précipitent sur ce corps inanimé; oubliant leur dignité, ils, s'abandonnent au même désespoir. Brutus arrive, et il