feint de le suivre, de l'accompagner; mais bientôt le guide est seul; on vient de l'abandonner. Mais c'est en vain, ô insensée! Janus ne voit-il pas ce qui se passe derrière lui? Il sait déjà où tu es cachée. [6, 125] C'est en vain, te dis-je, car sous la roche où tu te réfugies, il te serre dans ses bras, il te possède et s'écrie: "Pour prix de tes faveurs, pour prix de ta virginité perdue, je soumets les gonds à ton pouvoir." Et à ces mots, [6, 130] il lui donne une branche d'aubépine, pour écarter des portes toute funeste aventure.
Il existe des oiseaux voraces, non ceux qui se jouaient de la faim de Phinée, mais une race descendue de celle-là, à la tête énorme, aux yeux fixes, au bec aiguisé pour la rapine; leurs plumes sont blanches, et leurs serres crochues. [6, 135] On dit qu'ils déchirent avec leur bec les entrailles qui ne se sont encore nourries que de lait, et qu'ils aiment à s'enivrer de sang. On les nomme striges, [6, 140] à cause du cri sinistre dont ils épouvantent la nuit. Ces oiseaux donc, soit qu'ils se reproduisent entre eux, soit qu'un charme puissant les crée, et qu'on ne doive y voir que de vieilles femmes, métamorphosées par un chant marse, viennent s'abattre sur le berceau de Procas. L'enfant, né seulement depuis cinq jours, offrait à leurs appétits féroces une proie succulente; [6, 145] leurs langues avides épuisent cette tendre poitrine; l'infortunée victime ne peut implorer du secours que par ses vagissements; la nourrice effrayée accourt à cette voix qui l'appelle, et trouve son nourrisson les joues déchirées par des serres acérées. Que faire? Son visage avait la couleur [6, 150] que prennent les feuilles qui tardent à tomber et que flétrit le retour de l'hiver. Elle court vers Craniè et l'instruit de ce malheur: "Bannis tes craintes, lui dit la nymphe, celui que tu nourris sera sauvé." Elle vient près du berceau; le père, la mère fondaient en larmes. "Ne pleurez point, dit-elle, je le guérirai moi-même." [6, 155] Aussitôt, à trois reprises, elle touche les portes avec une branche d'arbousier; trois fois, avec cette branche, elle touche aussi le seuil; à l'entrée de la maison, elle répand une eau douée de vertus puissantes, et tenant à la main les entrailles crues d'une truie de deux mois: "Épargnez, dit-elle, oiseaux de la nuit, les entrailles de cet enfant; [6, 160] qu'une victime, jeune aussi, vous tienne lieu de cette jeune victime; prenez, je vous prie, coeur pour coeur, fibre pour fibre; nous vous abandonnons cette existence, pour en sauver une plus précieuse." Après cette offrande, elle expose en plein air les entrailles dépecées, et défend à ceux qui assistaient au sacrifice d'y porter leurs regards; [6, 165] puis elle pose le rameau d'aubépine, présent de Janus, près de la petite fenêtre qui donne du jour au berceau. On dit que, depuis, les oiseaux ne vinrent plus assaillir le lit de l'enfant, et que de fraîches couleurs brillèrent de nouveau