Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/808

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les mortels, vous serez le port, l’autel de l’exilé ! Si les armes des Gètes se lèvent sur moi, menaçantes, je vous embrasserai ; vous serez mes aigles, vous serez le drapeau que je suivrai. Ou je m’abuse, et suis le jouet de mes vains désirs ou j’ai tout lieu d’espérer un plus doux exil ; oui, ces images me semblent de moins en moins sévères, je crois les voir consentir à ma demande. Puissent, je vous en supplie, se vérifier ces présages, auxquels je n’ose encore me fier ! Puisse la colère, quoique juste, d’un dieu, s’apaiser en ma faveur !


LETTRE IX

AU ROI COTYS

Fils des rois, toi dont la noble origine remonte jusqu’à Eumolpus, Cotys[1], si la voix de la renommée t’a fait connaître que je suis exilé dans un pays voisin de ton empire, écoute, ô le plus clément des princes, la prière d’un suppliant, et secours autant que tu le peux, et tu le peux en effet, le proscrit qui t’implore. La fortune, en me livrant à toi, ne m’aura point pour la première fois traité en ennemi ; je ne l’accuserai donc point. Reçois avec bonté sur tes rivages mon vaisseau brisé ; que la terre où tu règnes ne me soit pas plus cruelle que les flots. Crois-moi, il est digne d’un roi de venir au secours des malheureux : cela sied surtout à un prince aussi grand que toi ; cela sied à ta fortune, qui, tout illustre qu’elle est, peut à peine égaler ta magnanimité. Jamais la puissance ne brille d’un éclat plus favorable que lorsqu’elle exauce les prières. La splendeur de ton origine t’impose ce noble rôle ; il est l’apanage d’une race qui descend des dieux, il est aussi l’exemple que t’offrent Eumolpus, l’illustre auteur de ta famille, et le bisaïeul d’Eumolpus, Erichtonius. Tu as cela de commun avec les dieux, que, invoqué comme eux, comme eux aussi tu secours les suppliants. À quoi nous servirait de continuer à honorer les dieux, si on leur dénie la volonté de nous secourir ? Si Jupiter reste sourd à la voix qui l’implore, pourquoi immolerait-on des victimes dans le temple de Jupiter ? Si la mer refuse un moment de calme à mon navire, pourquoi offrirais-je à Neptune un encens inutile ? Si Cérès trompe l’attente du laborieux cultivateur, pourquoi Cérès recevrait-elle en holocauste les entrailles d’une truie prête à mettre bas ? Jamais on n’égorgera le bélier sur l’autel de Bacchus, si le jus de la grappe ne jaillit sous le pied qui la presse. Si nous prions les dieux de laisser à César le gouvernement du monde, c’est que César veille avec soin aux intérêts de la patrie. C’est donc leur utilité qui fait la grandeur

  1. Cotys est le nom de plusieurs rois de Thrace.