Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/828

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plainte, d’être entouré d’ennemis nombreux. Eh quoi ! De tant de défauts que j’ai d’ailleurs, voilà le seul qu’on me reproche ! Si c’est là en effet le seul défaut de ma muse, je m’en applaudis. Je suis le premier à voir le côté faible de mes ouvrages, quoiqu’un poète s’aveugle souvent sur le mérite de ses vers. Tout auteur s’admire dans son œuvre. Ainsi jadis Agrius trouvait peut-être que les traits de Thersite n’étaient pas sans beauté. Pour moi je n’ai point ce travers. Je ne suis pas père tendre pour tous mes enfants. Pourquoi donc, me diras-tu, faire des fautes, puisque aucune ne m’échappe, et pourquoi en souffrir dans mes écrits ? Mais sentir sa maladie et la guérir sont deux choses bien différentes, chacun a le sentiment de la douleur. L’art seul y remédie. Souvent je voudrais changer un mot, et pourtant je le laisse, la puissance d’exécution ne répondant pas à mon goût. Souvent (car pourquoi n’avouerais-je pas la vérité ?), j’ai peine à corriger, et à supporter le poids d’un long travail. L’enthousiasme soutient. Le poète qui écrit y prend goût. L’écrivain oublie la fatigue, et son cœur s’échauffe à mesure que son poème grandit. Mais la difficulté de corriger est à l’invention ce qu’était l’esprit d’Aristarque au génie d’Homère. Par les soins pénibles qu’elle exige, ta correction déprime les facultés de l’esprit ; c’est comme le cavalier qui serre la bride à son ardent coursier. Puissent les dieux cléments apaiser la colère de César ! Puissent mes restes reposer dans une terre plus tranquille, comme il est vrai que toutes les fois que je tente d’appliquer mon esprit, l’image de ma fortune vient paralyser mes efforts ! J’ai peine à ne pas me croire fou de faire des vers et de les vouloir corriger au milieu des Gètes barbares. Après tout, rien n’est plus excusable dans mes écrits que ce retour presque continuel de la même pensée. Lorsque mon cœur connaissait la joie, mes chants étaient joyeux ; ils se ressentent aujourd’hui de ma tristesse ; chacune de mes œuvres porte l’empreinte de son temps. De quoi parlerais-je, si ce n’est des misères de cet odieux pays ? Que demanderai-je, si ce n’est de mourir dans un pays plus heureux ? En vain je le répète sans cesse ; à peine si l’on m’écoute, et mes paroles, qu’on feint de ne pas comprendre, restent sans effet. D’ailleurs, si mes lettres sont toutes les mêmes, elles ne sont pas toutes adressées aux mêmes personnes ; et si ma prière est la même, elle s’adresse à des intercesseurs différents. Quoi donc ! Brutus, fallait-il, pour éviter au lecteur le désagrément de revenir sur la même pensée, n’invoquer qu’un seul ami ? Je n’ai pas jugé le fait d’une si haute importance : doctes esprits, pardonnez à un coupable qui avoue sa faute. J’estime ma réputation d’écrivain au-dessous de mon propre salut. Le dirai-je enfin, le poète, une fois maître de son sujet, peut le façonner