Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/890

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connu du pommier et du poirier, et bientôt l’un et l’autre n’auront plus de fruits ; que le cerisier aux produits de couleurs diverses en soit instruit, il ne sera bientôt plus qu’un tronc inutile. Je ne suis point jaloux ; mais pourquoi n’y a-t-il d’épargné que l’arbre orné d’un vain feuillage ? Regardez l’un après l’autre ces arbres dans toute l’intégrité de leur parure, c’est qu’ils n’ont rien qui les expose à recevoir des coups. Pour moi, au contraire, je vois mes branches mutilées, ou criblées de cruelles blessures ; et mon écorce entamée laisse à nu mon sein tout meurtri. Ce n’est pas la haine qui m’attire ce traitement, mais l’espoir du pillage. Que les autres comme moi portent des fruits, et ils se plaindront de même. Ainsi donc il a tort celui dont la défaite promet quelque profit au vainqueur ; le pauvre ne mérite pas qu’on cherche à lui nuire : ainsi craint les embûches le voyageur qui porte quelque argent ; il marche avec tranquillité s’il a sa bourse vide : ainsi je suis le seul attaqué, parce que moi seul je vaux la peine de l’être. Les autres gardent toujours intact leur vert feuillage ; s’il en est près de moi dont la rameaux brisés jonchent la terre de leurs débris, la faute en est à moi seul : mon voisinage leur a été fatal, et la pierre qui m’a frappé est retombée sur eux. Que je mente si les arbres éloignés de moi ne conservent pas dans tout son éclat leur beauté native ! Oh ! s’ils étaient doués de sentiment, et qu’ils parlassent, comme ils maudiraient ce funeste voisinage. Qu’il est affreux de voir la haine s’unir aux outrages que j’endure et d’être accusé par ses voisins d’être trop près d’eux ! Mais, dira-t-on, je suis pour mon maître un sujet de fatigue et de graves inquiétudes. Et que me donne-t-il, je vous prie, autre chose qu’un peu de terre ? Je pousse facilement et de moi-même dans un terrain sans culture, et la place que j’occupe est presque la voie publique. Pour m’empêcher de nuire aux moissons (car on m’accuse de leur nuire), on me relègue à l’extrémité des champs. Jamais la faux de Saturne n’émonde mes branches superflues, et jamais la bêche ne rafraîchit le sol qui durcit auprès de moi. Dussé-je périr de sécheresse ou être brûlé par le soleil, on ne me fera point l’aumône du moindre filet d’eau. Mais à peine mon fruit mûr a-t-il entr’ouvert son enveloppe, que la gaule impitoyable vient à son tour me prendre à partie. Elle fait pleuvoir dans toute mon étendue une grêle d’horribles coups, comme s’il ne me suffisait pas d’avoir à me plaindre des coups de pierre. Alors tombent mes noix qui, elles aussi, trouvent place au dessert[1], et que tu recueilles, ô fermière économe, pour les conserver. Elles servent également aux jeux des enfants[2], soit que debout, et à l’aide d’une noix lancée sur les autres, ils rompent l’ordre dans lequel elles sont disposées ; soit que, baissés, ils atteignent en un ou deux coups

  1. Celle expression, mensae secundae, était consacrée chez les Romains pour désigner le dessert. Le second service est chez nous tout autre chose.
  2. L’obscurité du texte en cet endroit, l’ignorance où nous sommes de la plupart des jeux de cette nature chez les anciens, nous ont forcé de sacrifier, dans notre traduction, le laconisme à la nécessité de rendre ce passage intelligible, en le développant un peu.