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ORNEMENTS MAURESQUES.

où les courbes deviendraient tangentes l’une à l’autre ; car si l’une ou l’autre dévie de la parallèle, comme c’est le cas à D, l’œil au lieu de poursuivre la courbe graduellement en bas, se porterait au dehors et le repos serait détruit.[1]

3. On arrêtait d’abord les formes générales, qu’on subdivisait par des lignes générales ; puis on remplissait les interstices d’ornements, qui à leur tour étaient subdivisés et enrichis pour satisfaire à une inspection plus minutieuse. Ce principe a été mis en pratique par les Maures avec le plus grand raffinement, et l’harmonie et la beauté de toute leur ornementation doivent principalement leur succès à l’observation de ce principe. Les principales divisions contrastent les unes avec les autres et s’entre-balancent admirablement ; il y prévaut la plus grande netteté ; les détails ne sont pas en conflit avec la forme générale. Vues à distance, les lignes générales s’offrent d’abord à la vue ; à mesure qu’on s’approche, les détails de la composition se font valoir ; et en les examinant de plus près, on voit de nouveaux détails sur la surface des ornements mêmes.

4. L’harmonie de la forme consiste apparemment dans la juste balance et dans le contraste des lignes verticales, horizontales, obliques et courbes. Comme en fait de coloris, aucune composition ne saurait être parfaite s’il y manque l’une ou l’autre des trois couleurs primaires, ainsi en fait de forme, qu’il s’agisse de constructions ou de décorations, aucune composition ne saurait être parfaite s’il y manque l’une au l’autre des trois figures primaires ; et la variété, ainsi que l’harmonie de la composition, dépendra du degré de prédominance ou de sub ordination de ces trois figures.[2]

Dans la décoration de surface, tout arrangement de formes, qui ne se compose que de lignes horizontales et verticales, comme c’est le cas dans le dessin A, doit être monotone et ne donne qu’un plaisir imparfait ; mais si l’on y introduit des lignes qui tendent à diriger l’œil vers les angles, comme dans le dessin B, le plaisir se trouve augmenté immédiatement. Que l’on ajoute ensuite des lignes qui donnent une tendance circulaire, comme dans le dessin C, et on aura une harmonie complète. Dans ce cas, le carré est la forme motrice ou tonique ; les formes angulaires et courbes sont les formes subordonnées.

On obtient le même résultat en adoptant une composition angulaire, comme dans le dessin D : puis en y ajoutant des lignes telles qu’on voit dans le dessin E, on remédie immédiatement à la tendance de suivre seulement la direction angulaire des lignes inclinées ; mais qu’on les réunisse par des cercles, comme dans le dessin F, et l’on aura l’harmonie parfaite, c’est à dire le repos — parceque l’œil ne voit plus de manque auquel il soit nécessaire de suppléer.[3]

  1. Ces transitions étaient ménagées avec la plus grande perfection dans les moulures des Grecs, les quelles décèlent ce raffinement développé au plus haut degré ; le même raffinement se trahit dans les contours exquis des vases grecs.
  2. On ne saurait trouver un meilleur exemple de cette harmonie ailleurs, que dans les temples grecs, où les lignes verticales, horizontales, angulaires, et courbes sont parfaitement en rapport les unes avec les autres. L’architecture gothique nous offre aussi de nombreuses illustrations de ce principe : toute tendance des lignes de courir dans une direction y est neutralisée par des lignes angulaires ou courbes : ainsi le tailloir de l’arc-boutant est précisément ce qu’il faut pour neutraliser la tendance montante des lignes, de même que le pignon contraste admirablement avec les dessus courbés des fenêtres et leurs meneaux perpendiculaires.
  3. Si nous voyons si souvent des ouvrages manqués, en fait de papiers-peints, de tapis et d’objets d’habillement surtout, c’est parce qu’on néglige cette règle si évidente ; les lignes des papiers-peints s’élancent généralement vers le plafond, de la manière la plus désagréable, parce que la ligne verticale n’y est pas corrigée par la ligne angulaire, ni la ligne angulaire par la ligne courbe ; de la même manière, les lignes des tapis vont toujours dans une direction seulement, tendant à conduire l’œil tout droit à travers les murs de l’appartement. C’est aussi la source de ces étoffes abominables, à raies et à carreaux, qui défigurent la forme humaine — coutume préjudiciable au goût public et tendant à abaisser par degré le ton de l’œil de notre génération, en fait de forme. Si on élevait les enfants au son d’une vielle raclant sur un ton faux, leurs oreilles ne manqueraient pas de se détériorer et perdraient tout
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