Page:Ozanam - Œuvres complètes, 2e éd, tome 01.djvu/298

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À vrai dire, la poésie des anciens était toute religieuse dans son principe et à ses plus lointaines origines ; la poésie était la prédication du paganisme, qui n’en connaissait pas d’autre ; c’était le cortège inévitable des mystères ; c’était pour le service des dieux que s’étaient racontées, pour la première fois, ces longues histoires destinées à se résumer un jour en poëmes épiques où furent célébrés les exploits des héros, fils des dieux. Les premiers chants avaient été des hymnes aux immortels. Quant à la tragédie, vous savez que le théâtre ne s’ouvrait pour elle qu’aux fêtes de Bacchus et qu’elle n’était qu’une partie du culte public. Aussi, quand je vois la poésie sortir des temples et se produire au dehors, se livrer aux profanes par Homère et Hésiode, avec Virgile pénétrer dans la familiarité d’Auguste et s’asseoir ensuite parmi les courtisans et jusqu’aux pieds du trône de Néron, alors je commence à m’inquiéter de sa destinée, et toutes mes craintes se justifient lorsque Claudien la fait entrer dans la domesticité de Stilicon et des autres ministres d’Honorius. L’inspiration n’est plus là ; mais ce qui vit dans les lettres antiques, ce qui est encore plein de durée, c’est la tradition : après le génie, c’est la science. Le génie n’a qu’un éclair, mais cet éclair agit sur l’esprit humain à ce point qu’il voudrait pour tout au monde le fixer, le retenir, et, s’il se pouvait, l’éterniser. La science s’en empare, et, par un effort prodigieux, concentré sur cette parole qui passe, qui a des ailes, elle la retient, la médite et en dégage l’idéal d’une éternelle beauté. Ainsi se perpétue la