Page:Ozanam - Œuvres complètes, 3e éd, tome 10.djvu/88

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jours bienveillance et politesse. Nous sommes surtout une dizaine, unis plus étroitement encore par les liens de l’esprit et du cœur, espèce de chevalerie littéraire, amis dévoués qui n’ont rien de secret, qui s’ouvrent leur âme pour se dire tour à tour leurs joies, leurs espérances, leurs tristesses. Quelquefois, lorsque l’air était plus pur et la brise plus douce, aux rayons de la lune qui glissaient sur le dôme majestueux du Panthéon, en présence de cet édifice qui semble s’élancer au ciel et auquel on a ôté sa croix comme pour briser son élan, le sergent de ville, l’œil inquiet, a pu voir six ou huit jeunes hommes, les bras entrelacés, se promener de longues heures sur la place solitaire ; leur front était serein, leur démarche paisible, leurs paroles pleines d’enthousiasme, de sensibilité, de consolation ; ils se disaient bien des choses de la terre et du ciel, ils se racontaient bien des pensées généreuses, bien des souvenirs pieux ils parlaient de Dieu, puis de leurs pères, puis aussi de leurs amis restés au foyer domestique, puis de leur patrie, puis de l’humanité. Le Parisien stupide qui les coudoyait en courant à ses plaisirs ne comprenait point leur langage : c’était une langue morte, que peu de gens connaissent ici. Mais moi, je les comprenais ; car j’étais avec, eux et en les entendant je pensais et je parlais comme eux, et je sentais se développer mon cœur ; il me semblait que je devenais homme, et j’y pui-