Page:Ozanam - Œuvres complètes, 3e éd, tome 2.djvu/212

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avec une singulière confusion les chagrins particuliers du moine rédacteur et les douleurs de l’humanité :: ainsi on trouvera, dans je ne sais quelles annales franques, à l’année 710 : « Frère Martin est mort ; » le frère Martin était probablement le frère de cœur de ce pauvre moine. Quelques années après, Charles Martel bat les Sarrasins dans les champs de Poitiers, et cet événement est consigné dans ces annales avec la même brièveté. C’est en se resserrant de la sorte, en se faisant petite, que l’histoire arrivera à passer à travers les difficultés des temps, comme le grain qui trouve toujours un vent assez fort pour le porter où Dieu l’envoie.

Voilà la première forme de l’histoire et le premier bienfait qui en résulte. Cependant il faut convenir que si la, chronique devait rester seule, toute beauté, tout sentiment d’art périrait dans l’histoire, et que toute vie semblerait s’y éteindre. Mais ce n’est pas là l’intérêt du christianisme, qui, au contraire, a toutes les raisons du monde de montrer ce qu’il y a de plus vivant dans l’homme, le combat de l’esprit et de la chair, les luttes des passions, et enfin l’idéal même de la vie dans la personne des saints. C’est pourquoi les chrétiens s’attachent à écrire longuement, avec respect et amour, la vie de ceux d’entre eux qui auront laissé de grands exemples et qui auront semé dans le monde une parole régénératrice ou un sang