Page:Ozanam - Œuvres complètes, 3e éd, tome 5.djvu/212

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les vendeurs du temple passait des mains de Pierre Damien à celles de Grégoire VII, et de saint Bernard à Innocent III. Ces siècles d’inspiration furent aussi des siècles de polémique : ils ne se refusèrent ni l’invective ni le sarcasme. Au-dessous des saints évêques sculptés au portail des cathédrales, le statuaire faisait grimacer les mauvais prêtres et les moines apostats. La poésie des troubadours se divisait en deux genres la chanson pour célébrer la bravoure et la beauté, et le sirvente pour flétrir la couardise. Quoi de surprenant si Jacopone céda au génie de son temps, s’il écrivit des satires, s’il y porta toutes les libertés de l’art, s’il y mit le grotesque auprès du sublime ?

Les satires de Jacopone ne s’adressent pas aux rois, ni aux seigneurs des villes italiennes il ne faut donc pas s’attendre à y voir foudroyer les grands crimes du treizième siècle. Écrites dans le langage du peuple, elles poursuivent d’abord les péchés du grand nombre, les désordres qui ôtent au pauvre le mérite de ses sueurs et de ses larmes. De là les images hardies et quelquefois repoussantes, sous lesquelles le poëte met en scène l’Avarice, la Luxure, l’Orgueil, afin de les livrer à l’horreur et a la risée de la multitude. Tantôt, comme les fossoyeurs de Shakspeare, il ramasse la tête d’un mort pour lui demander des nouvelles de ces yeux qui jetaient tant de flammes, de cette langue plus tranchante que l’épée. Tantôt il traduit