Page:Ozanam - Œuvres complètes, 3e éd, tome 5.djvu/231

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tirer le lait de ses chèvres ? À vrai dire, le poëte et le peintre ont bien le caractère de leur temps, de cette époque plus douée d’inspiration que de mesure, plus prompte à concevoir les grandes pensées que persévérante à les soutenir, qui commença tant de monuments et en acheva si peu, qui poussa si rigoureusement la réforme chrétienne, et qui laissa subsister tant de désordres, capable de tout en un mot, hormis de cette médiocrité sans gloire dont se contentent volontiers les siècles faibles, Il est temps de rendre à Jacopone sa place au berceau de la poésie italienne. Quand il parut, toute l’Italie retentissait de ce concert poétique dont les préludes avaient salué l’aurore du treizième siècle les chants venus de Sicile avaient éveillé en Toscane un écho qui ne devait plus se taire. Cependant les Siciliens et les Toscans ne faisaient guère que répéter les Provençaux. Sans doute ils s’étaient approprié tout l’art des troubadours, toute l’harmonie de leurs chansons, toutes les formes du sonnet, du tenson et du sirvente. Mais le fléau de cette poésie, c’est le lieu commun, ce sont les fleurs, le printemps, les dames célébrées sur la foi d’autrui, et l’amour chanté par ceux qui n’aimèrent pas. Les imaginations réduites à vivre d’emprunt recouraient aux souvenirs de la mythologie et le fils de Vénus, avec son arc et ses flèches, venait au secours des poëtes épuisés. Jacopone, au contraire, a l’horreur du lieu commun. Il n’imite rien, si ce