Page:Ozanam - Œuvres complètes, 3e éd, tome 5.djvu/465

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milliers d’ouvriers qui ne laissaient pas de repos à la pierre, et qui y mettaient leur imagination,leur foi, leur cœur, tout, excepté leur nom. Voici un poëte qui avait une inspiration puissante, il aurait pu aller avec elle chanter de ville en ville, et recueillir des applaudissements et des couronnes. Au lieu de cela, il la prenait, il la liait, il l’enlaçait dans des vers comme un corps dans des bandelettes il la déposait dans un livre comme dans un tombeau habilement, sculpté ; il y travaillait jusqu’à sa mort, afin qu’elle y demeurât incorruptible, et que, durant la suite des siècles, ceux qui viendraient au monument y retrouvassent ce qu’il y avait mis. Mais, si ce poëte était Dante, l’inspiration déposée dans son monument était la pensée de tous les temps chrétiens qui l’avaient précédé. Il ne touchait pas une idée qui ne fût consacrée pour ainsi dire par les craintes ou les espérances des hommes ; il n’employait pas une image où quelqu’un n’eût laissé un souvenir, un sourire ou une larme. Comme les enfants et les jeunes filles qui portaient des briques d’or pour la tour céleste rêvée par le visionnaire de saint Grégoire le Grand, ainsi tous les siècles catholiques apportaient leur offrande a son œuvre. Il leur devait plus que le fond de ses tableaux, plus que la terreur et la grâce qui les animent, plus que l’amour qui les échauffe ; il leur devait la foi invisible qui les soutient. Mais Dante avait une autre dette car les hom-