Page:Ozanam - Œuvres complètes, 3e éd, tome 5.djvu/504

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mort, ni celle de l’éternité, ni la théologie parce qu’elle en est pleine, ni l’Église parce qu’elle les prêche.–Pendant ce temps-là, on avait d’autres récits épiques, des poèmes chevaleresques écrits pour le plaisir des rois et des cours on avait les douze Preux de la Table-Ronde, et la Quête de Saint-Graal. Impossible de concevoir de plus nobles caractères ni des aventures plus attachantes. Cependant les grands écrivains n’y touchèrent pas. Ces belles histoires descendirent les siècles, se transformant toujours, en vers, en prose, en contes populaires. Je trouve le Lancelot refait quatre fois en Italie au seizième siècle seulement. Je ne sache point qu’on ait tenté de refaire la Divine Comédie. Dante s’en est assuré, selon la forte expression d’un ancien, la possession perpétuelle. C’est là sa gloire, d’avoir mis sa marque, la marque de l’unité, sur un sujet immense, dont les éléments mobiles roulaient depuis bientôt six mille ans dans la pensée des hommes.

Le génie ne peut rien de plus. Il n’a pas mission quoi qu’on ait dit, de créer, d’introduire des idées dans le monde. Il y trouve tout ce qu’il faut d’idées pour les esprits, comme tout ce qu’il faut de lumière pour les yeux : mais il les trouve flottantes, nuageuses, en tourbillon et en désordre. La hardiesse est d’arrêter chez soi, au passage, ces pensées fugitives; de percer leur nuage, de saisir au vif les beautés qu’elles recèlent, de les fixer enfin, en